Histoires Incroyables

Marta Rosario Galeano est née des maladresses de deux adolescents trop fougueux. Lorsque que sa mère, Raina découvrit qu’elle est enceinte il est déjà trop tard pour prendre une décision. Sans argent, sans situation stable, sans avenir vraiment, Rosario s’est toujours figuré que sa mère avait été soulagée quand la famille de son père avait voulu reprendre ses droits sur son sang et était venu la chercher pour faire d’elle une Galeano. L’homme qui était son grand-père, devient pour elle se qui se rapproche le plus d’une figure paternelle. Et elle devint Rosario. Elevée comme le bras armé de sa famille, la jeune femme n’a rien connu de ce qui est commun à tout enfant, comme les câlins ou les shamallow dans le chocolat chaud. Habituée à se contenter de peu et à attendre du bien ne venant que d’elle, elle s’accorde sur ce qui, pour elle est normal. Confrontée en permanence à la violence dans son entourage, elle semble se fondre naturellement dans ce mode de communication et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Chaque coup reçu est rendu, même si le geste lui attire encore plus d’ennuis. A sept ans il ne viendrait à personne de lui piquer son bol. A dix elle fracasse le crâne d’un gamin parce qu’il l’a trop titillée. Elle a 12 ans, lorsqu’elle tue un homme pour la première fois et pourrait encore décrire la sensation inouïe qui l’a alors emplie. Une sorte de jubilation, comme si toutes les pièces du puzzle qu’elle était se mettaient enfin en place. Il n’est alors plus question pour elle de traîner avec les putains et cette farouche détermination bien qu’elle n’impressionne pas, intéresse.
Son entraînement est intensif, et en même temps qu’on lui apprend à donner les coups et la mort, on broie chez elle toute pensée cohérente. Surtout ne pas réfléchir, simplement sentir les bons gestes, le bon moment. Son petit minois fait d’elle une arme plus redoutable encore, et à 16 ans elle a déjà arrêté de compter les corps qu’elle a laissés derrière elle. Efficace, rapide et discrète elle devient l’un des meilleurs atouts de la famille Galeano. Les jours finissent par tous se ressembler mais la violence elle monte crescendo, de concert avec les premiers pas dans la drogue. Ses émois de jeune fille n’ont rien de ceux d’une adolescente lambda et même le sexe ne semble pas l’attirer. Tout l’amène à son prochain meurtre, à une autre dose d’adrénaline, au dépassement de ses propres limites. Implacable elle ne souffre pas le doute et l’on voit en elle nul autre que l’aura de la mort. Ses relations avec ses « frères » sont d’une importance mineure, des taquineries sans réel attachement, un respect tinté d’une certaine peur. On l’a dit folle et elle est parfois prête à le croire, quand un souffle vient la réveiller dans la nuit et que des chuchotements baignent ses oreilles alors qu’elle est seule. J’ai tué. Voilà comment Ross pourrait résumer toutes ces années, chacune identique à l’autre, comme l’onde calme d’un lac, lisse et sans accroc. Jusqu’au déchirement.
A voir trop grand on attirait les ennuis. Et le père Galeano était définitivement trop gourmand. Les balles avaient sifflé dans les airs et elle avait tout juste eu le temps de se mettre à couvert. Elle était tombée au sol avec la respiration coupée, avait trouvé le coup plus rude qu’à l’habitude et sa vision s’était troublée. Quand elle s’était réveillée elle avait la bouche comme du carton et les pupilles agressées par les lumières trop fortes. Il lui avait fallu plus de temps que l’habitude pour rassembler ses pensées et elle avait blâmé la perfusion accrochée à son bras et l’avait virée. Sur ses jambes elle s’était sentie vacillante, mais elle avait su que ce n’était pas grave parce qu’elle avait faim. Elle avait appelé les noms qu’elle connaissait mais ils n’étaient pas venus. Son sang n’avait fait qu’un tour en reconnaissant la flicaille. Elle savait déjà qu’ils venaient pour elle. Elle avait donc fuit, d’abord l’hôpital puis la vie qu’elle connaissait. Elle n’était pas retournée en arrière pour voir ce qui restait de sa famille. Elle avait pris le premier bateau en partance pour l’Europe. Livrée à elle-même et à ses propres choix, elle avait laissé le hasard faire. La France, elle y avait découvert des mœurs libérées et une facilité à nouer et dénouer des relations avec les autres. Pour ce vide qui l’habitait elle avait trouvé l’alcool pour réponse, des hommes, puis surtout des femmes avec leurs manières douces et leurs paroles de miel. Elle s’était rendue compte qu’il n’était pas facile de penser par elle-même, et combien la vie lui avait semblé plus facile au sein de sa famille. Une partie d’elle s’était révoltée, contre ce manque de volonté dont elle était pourvue, et son manque d’envie. Il était clair qu’elle voulait changer mais elle ne savait pas comment. Elle avait cherché ces moments où les questions ne se posaient plus et les avaient trouvés tard la nuit, à la sortie de bars ou au détour d’une ruelle. Elle avait 27 ans à l’époque, et pas la plus foutue petite idée de ce qu’elle pouvait faire d’elle. Elle s’était retrouvée à nouveau dans l’engrenage de petits trafics, sa zone de confort.
Duncan n’était pas apparu comme une solution magique, mais plutôt comme un dérivatif. Il l’attirait, l’agaçait, la poussait dans ses derniers retranchements. Les choses avaient commencé de façon tout à fait anodine, son poing sur le nez du grand bestiau qu’il était, parce qu’il avait louché sur la même donzelle qu’elle et qu’elle n’était pas partageuse et que c’était comme ça chez elle qu’on se taillait son bout de steak. Il n’avait pas réagi comme elle l’attendait, et ne l’avait d’ailleurs jamais fait. Il avait cette drôle de façon de la regarder et de lui faire regarder les choses. Quand elle avait perdu son sang dans le caniveau parce qu’elle avait trop tiré sur la corde de quelques susceptibles elle n’avait pensé qu’à lui pour la tirer de ce mauvais pas. C’était la première fois qu’elle demandait quelque chose et elle n’y était pas allée de main morte et lui ce grand couillon il l’avait prise dans ses bras et il lui avait tout donné.
A ses yeux Ross était née ce soir là, elle était devenue ce qu’elle aurait toujours du être, une louve. Duncan lui avait ouvert toutes les portes, lui en avait donné les clés puis laisser le choix et elle n’avait trouvé rien de mieux que le suivre. Elle ne l’avait regretté qu’une fois, lorsqu’il lui avait tendu la croix en onyx qu’il portait au cou et l’avait sortie de sa vie sous prétexte de la protéger. Pour Rosario ce geste était une trahison et ne le rendait pas meilleur que l’homme qui l’avait élevée parce qu’il n’avait pas pris cas de ce qu’elle souhaitait elle. Elle avait obéit mais avec la sensation que quelque chose s’était brisé en elle. Elle n’avait tenu que quelques mois avec les enseignements de Duncan, tout semblait plus difficile quand il n’était pas là pour la guider. Dans sa colère elle avait trouvé un exutoire pour sa peine, Julian. Et un moyen simple de financer sa vendetta, le meurtre. Un nouveau terrain de jeu, Shreveport. Et cet os là elle comptait bien le ronger jusqu’à la moelle.
Sur place elle découvre que le chasseur n’est pas seul. Duncan frappe à sa porte un soir et les éclats brisés semblent se remettre en place doucement. Deux ans d’absence éclatés en une seconde à peine. Les bases d’un renouveau sont posées. Les rencontres sont multiples et la Louisiane s’infiltre doucement en elle, lui donnant l’illusion d’avoir trouvé un foyer. Illusion vite ébranlée par des événements sanglants. Alors que Duncan s’apprête à devenir Ulfric de la meute, il disparaît sous les ordres donnés par un groupe d’extrémistes.


Famille :
Marta Mora : C’est la grand-mère de Rosario, celle qui lui a donné son prénom. Très connue dans le monde de la magie, elle n’a pas été sans influence sur les pouvoirs de sa petite fille quand celle-ci était plus jeune. Mais la fillette s’est fermée à la magie et le lien a été rompu. Rosario ne sait rien d’elle.
Raina Mora : Mère de Rosario, elle a laissé la famille de son « petit-ami » reprendre ses droits sur l’enfant et en a été soulagée. Rosario ne connaît que son nom, elle n’a même pas une photo pour se la rappeler. Raina était loin d’avoir les mêmes dispositions que sa mère en magie, et que sa fille.
Juan Pedro Galeano : Le père de Rosario, un être insignifiant dans sa vie. Il ne lui a donné que ses gênes et heureusement pas les plus mauvais. Elle n’a pas du échanger plus de dix mots avec. De son côté, Juan a toujours trouvé sa gamine étrange et avait l’impression que l’aura de la vieille chouette Marta rôdait autour d’elle. Et pour une fois il n’avait pas tort.
Raimundo Galeano : C’est le grand père de Ross et ce qui se rapproche le plus d’une famille pour elle. Homme autoritaire et ambitieux, il a profité de son jeune âge pour faire d’elle une machine qui l’aiderait dans son ascension au pouvoir. A trop flirter avec le soleil il s’est brûlé les ailes et sa grande « famille » n’est plus qu’un souvenir.

En entrant dans le minuscule appartement où elle avait posé son sac, Rosario fit claquer ses clés sur le comptoir et se saisit de la bouteille qui ne quittait jamais ce promontoire. Elle fit couler le liquide ambré qu’elle contenait dans le verre posé à côté et qui gardait depuis quelques jours la trace de ses lèvres. Elle retira le manteau de cuir qui collait à sa peau, et but le verre d’une traite, puis faisant route jusqu’à la salle de bain, le verre et la bouteille à la main, elle fit valser ses chaussures dans les airs. Elle posa son paquetage sur le rebord de la baignoire, un luxe qu’elle n’avait pas cherché mais qu’elle trouvait bienvenue et fit couler de l’eau brûlante. Avant même que la vasque ne commence à se remplir, elle se déshabilla et plongea dans l’eau sans sourciller alors que sa peau devenait rouge comme celle d’une écrevisse qu’on s’apprêtait à décortiquer. Le flingue à sa ceinture luisait maintenant proche du jet bouillonnant d’eau qui se déversait à ses pieds. Si elle avait été coquette et sensible aux bénéfices des huiles essentielles, elle aurait vidé la bouteille de bain moussant oubliée par l’ancienne locataire dans la baignoire, mais elle ne croyait aux vertus que d’un seul liquide. Avalant une nouvelle lampée de son whisky, elle s’étira et fit rouler les muscles de ses épaules pour se détendre alors que l’eau se tintait doucement d’une couleur rosée. Elle se laissa doucement glisser le long de la baignoire, frissonnant au contact froid de la porcelaine. Quand elle jugea que le niveau de l’eau était suffisant, c’est à dire à la limite de déborder, elle tendit la jambe pour fermer le robinet d’une poussée de l’orteil. L’eau était devenue trouble et la vapeur avait envahi la petite salle de bain, rendant l’odeur du sang plus prégnante encore. Comme le sont l’odeur d’une tarte aux pommes, ou de la craie pour certains, pour Rosario c’était celle métallique et âpre du sang qui charriait ses souvenirs. Elle ne pouvait se dissocier d’elle. Elle en reconnaissait les accents doucereux qui imprégnaient une pièce lorsqu’il était versé à flot et le nœud que cela ne manquait jamais de nouer à ses entrailles, en même temps que cette sensation de brûlure qui courrait dans ses veines. Sa loi, elle en avait fait sa doctrine, et n’avait plus jurer que par ça. Elle avait toujours cru que les choses n’avaient un sens que lorsqu’elle tenait au bout de ses doigts la vie d’un autre. Aujourd’hui elle n’était plus certaine d’avoir eu raison.
Passant une main dans sa nuque elle en retira le sang qui avait séché sur sa peau. Puis elle prit une éponge douce et se frotta doucement avec, interrompant parfois son geste pour boire une autre gorgée de son verre. L’homme qu’elle avait tué ce soir était insignifiant pour elle. Elle ne connaissait pas son nom, ni ce qui avait poussé quelqu’un à lui donner de l’argent pour mettre un terme à sa vie. Mais son visage viendrait longtemps la hanter avec les autres. Pourtant elle n’avait pas tremblé, ni hésité ou encore posé de question. Pas plus qu’elle ne pouvait renier l’espèce de jubilation qui l’avait saisi à cet instant. Fermant les yeux elle voulut repousser les questions qui s’invitaient maladroitement dans son esprit, elle se concentra sur le rythme de sa respiration. Encore quelques lampées de son Jim Beam et sur ses paupières se dessina un souvenir qui fit monter un sourire à ses lèvres.
Elle y percevait avec une acuité particulière l’odeur encore chaude de la terre tannée par le soleil, l’odeur piquante de l’écorce des arbres et le remugle d’un humus qui commençait à peine à se former, mélange de fruits pourris, de feuilles aux teintes dorées et rouges et de carcasse d’animaux. L’automne s’invitait tout juste et les soirées étaient encore douces, mais l’eau dans laquelle elle plongea sa langue était déjà glacée. Venue tout droit des montagnes, elle venait témoigner que la félicité connue aujourd’hui ne durerait pas. C’était la saison préférée de la louve. Elle la rendait plus consciente de sa condition de mortelle. Les deux pattes dans l’eau, elle leva son museau pour humer les odeurs portées par le vent, étendant son regard jusqu’à la cime des arbres décharnés qui dressaient leurs branches nues vers le ciel, déshabillées de leur habit sanguinolent. Ses mâchoires claquèrent alors qu’elle reconnaissait l’odeur du gibier. Bondissant en avant, elle s’élança dans les fourrés, guidée par son instinct. A mesure qu’elle se rapprochait, que l’odeur se faisait plus forte, elle accélérait sa foulée, le museau au ras du sol. Elle était proche. Elle entendit un craquement qui fit frémir ses oreilles et la bête déboula devant ses yeux, l’obligeant à faire un écart pour ne pas entrer en collision avec. La biche était rapide, mais pas assez endurante et la louve n’eut qu’à attendre qu’elle ralentisse le pas pour sauter à son cou. Refermant sa mâchoire juste au-dessus de son poitrail, elle sentit le sang inonder sa gueule en pulsations chaudes et vives. La biche rua dans tous les sens, mais le lycan ne lâchait pas sa proie, se pendant à son cou comme un poids mort. Même lorsqu’elle s’écroula au sol, Ross ne lâcha pas sa prise et attendit quelques secondes que seul son cœur se fasse écho. Alors elle rejeta sa gueule en arrière et hurla à la lune sa victoire.
Le cri résonna aux oreilles de la jeune femme et elle se redressa brutalement, faisant déborder la baignoire. Saisie par l’intensité de ce qu’elle avait ressenti, de ce que la bête pouvait provoquer en elle, elle se ramassa sur elle-même, passant ses bras autour de ses jambes, ses lèvres pressées contre sa peau humide. C’est alors qu’elle la vit, petit poupée blonde qui se tenait de la même façon qu’elle. Ses boucles étaient parfaites malgré la densité de la vapeur dans la pièce, et sa peau conservait la même pâleur. L’habit qu’elle portait, ne semblait pas souffrir de l’eau et Rosario se disait qu’elle avait dû correspondre à ce modèle de perfection toute sa vie. D’une beauté à couper le souffle, elle paraissait irréelle à la louve et cela n’avait pas grand-chose à voir avec le fait qu’elle soit morte. Cela faisait un moment maintenant que Ross devait composer avec ses arrivées impromptues, sa présence discrète mais quasi omniprésente. Elle s’étonnait toujours de la façon dont elle gravitait autour de Duncan, et cette manière instinctive qu’il avait de réagir à sa présence alors même qu’elle était certaine qu’il n’en avait pas conscience. Tout au plus la souhaitait-il. Pourtant ils étaient comme deux satellites. Ignorante comme elle l’était des sentiments, Rosario avait pourtant sans mal pu mettre des mots sur ce qu’elle voyait. Sentant un picotement courir sur sa peau alors même qu’elle prenait conscience que Sinéad ne lui faisait plus face, elle comprit en voyant deux bras pâles se refermer autour d’elle ce que le fantôme essayait de faire mais elle se raidit et l’esprit disparu comme il était venu.