✤ Traits de caractères « Si je pouvais m'exprimer à haute voix, voilà comment je décrirais Heilani : une boule d'énergie, prête à exploser à n'importe quel moment. Un volcan, menaçant de se mettre en éruption d'un instant à l'autre. Elle est extrêmement instable, et bien trop passionnée dans ce qu'elle fait, bien trop impliquée. Dans le sens où, sans cette malédiction à double-tranchant qui lui permet malgré ses effets néfastes de ne pas avoir de marques physiques ou psychologiques, elle aurait déjà fini folle à errer dans les rues et ne serait plus que l'ombre d'elle-même. Elle se mutile pour des rituels, est capable de poursuivre un rite jusqu'à perdre conscience, et sacrifie aisément son sang de même que son énergie voire même son âme afin d'obtenir les résultats qu'elle désire. Elle ne contrôle pas sa fougue, ni sa soif de pouvoir, qui la mènent fréquemment à commettre des actes totalement fous et irréparables. Enfin, si elle agit ainsi, c'est aussi parce qu'elle a l'impression qu'elle se doit d'avoir un rythme de vie différent de celui des autres, puisqu'elle n'a pas la même échéance : s'il faut vivre trente-cinq ans, autant les vivre pleinement. C'est pour cette raison qu'elle n'hésite pas à mettre sa vie en danger si cela lui permet d'acquérir plus de puissance, ou simplement d'avoir plus d'adrénaline, ou un peu d'action. De la démesure, toujours de la démesure : lorsqu'elle sort, lorsqu'elle boit, lorsqu'elle fume, lorsqu'elle séduit. Car il n'y a pas que le pouvoir qu'elle affectionne, il y a aussi les petits plaisirs de la vie.
Elle ne craint pas la mort. Et parallèlement, semble en être plus soucieuse que toutes les autres Laveau qui l'ont précédée. Ses tantes s'étaient résignées à la fatalité, sa mère aussi, sa grand-mère... Mais elle, elle ne veut pas. Elle ne veut pas mourir, pas à trente-cinq ans du moins. Il faut rappeler que contrairement aux précédentes générations où il y avait toujours deux, trois, voire quatre ou cinq sorcières, elle est la seule de sa génération. La dernière Laveau. Son éducation a donc été différente, dans le sens où ce qui devait être fait par plusieurs sorcières lui a été inculquée à elle-seule par ses tantes afin qu'elle prenne la relève. Il y avait aussi la difficulté du temps : elles avaient dix-huit ans pour tout lui apprendre, avant de mourir. Une certaine pression a été ainsi mise sur ses épaules. Puis, le fait de ne plus avoir aucun membre de sa famille en vie n'est pas tout à fait aisé non plus, bien qu'elle n'en montre rien. Certes, elle a de nombreux fidèles, qu'elle a hérité mais... Elle n'en reste pas moins très solitaire depuis la mort de ses tantes. Puis, elle n'était pas même majeure lorsqu'elle se retrouva à devoir gérer le business qui lui avait été léguée. Elle a donc dû apprendre à assumer toutes ces responsabilités très rapidement.
Responsable, oui, et pourtant tellement insouciante, inconsciente. Cruelle, aussi. C'est triste, mais c'est vrai, elle l'est. Elle tue, souvent. C'est sa spécialité après tout, c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent, et c'est pour cette raison qu'on vient la voir. Elle est capable de tuer à distance, à petit feu, ce qui donne l'impression qu'il ne s'agit que d'une maladie et si la personne est novice en magie, elle n'est pas même capable de soupçonner qu'un individu est derrière cela tellement le processus semble naturel. N'est-ce pas merveilleux? Elle s'occupe notamment de sacrifices humains lors de cérémonies de la Tenebrae. A vrai dire, on lui a appris très rapidement que dans cette vie, l'autorité ne s'imposait que par la peur que l'on inspirait, et qu'étant donné le nombre de détracteurs que les Laveau avaient, ou du moins le nombre de personnes qui les prenaient pour le diable personnifié, si elle ne se révélait pas en être réellement un, elle en paierait le prix tôt ou tard, finiraient sur un bûcher. Le but était donc d'effrayer suffisamment les gens pour qu'ils craignent même de s'en prendre à elles. Elle se ferait croquer par eux, si elle ne se défendait pas. Ne vaut-il mieux pas plutôt les croquer alors, et les devancer ? C'est exactement ce qu'elle fit et ce qu'elle fait encore aujourd'hui. Imposer son autorité, bluffer s'il le faut. Être toujours sur ses gardes. En tout cas, il y a quelque chose de très... Déstabilisant chez Heilani. Elle ressemble énormément à la toute première Marie, tout en s'opposant à elle. Marie Laveau avait dû acquérir par elle-même ses pouvoirs. Et elle est la seule à ne pas être morte à trente-cinq ans, puisque tout a débuté grâce ou à cause d'elle. Heilani doit s'en procurer de nouveau, des pouvoirs, et souhaite justement être celle qui annulera les effets de cette fameuse malédiction. N'y a-t-il pas une sorte d'effet miroir, là-dedans ?
It cannot be seen, cannot be felt,
Cannot be heard, cannot be smelt,
It lies behind stars and under hills,
And empty holes it fills,
It comes first and follows after,
Ends life, kills laughter. » Un esprit.
✤ Occupation diurne Je tiens en Nouvelle-Orléans une jolie maison close du nom de ''La Maison Blanche'' qui n'a d'ailleurs de blanc que le nom. Et comme vous devez vous en douter, il s'y passe bien plus que de simples transactions sexuelles. La première Laveau l'a crée afin d'y puiser l'énergie nécessaire pour la pratique de la magie rouge. Encore aujourd'hui, je m'en sers pour les mêmes fins. Elle me permet aussi d'avoir une rentrée d'argent intéressante et non négligeable. En parallèle, j'ai ouvert à Shreveport une boutique où je vends des talismans, des grigris, des filtres... Mais ce n'est qu'une couverture, là encore, pour d'autres transactions plus sombres. Pas sexuelles cette fois-ci, bande de petits coquins. Comme je l'ai dit plus tôt, je suis une grande spécialiste de la mort : mort à petit feu, soudaine, avec peu moyenne ou grande souffrance, à distance ou à proximité... La création de zombies, bien qu'il y ait parfois des ratés ( enfin, zombie selon la pratique vaudou de toute manière, plus un lavage de cerveau qu'autre chose ) et d'autres pratiques bien sombres. Il se trouve que ce genre de chose intéresse de nombreuses personnes, ou plutôt ''créatures''... Et qu'il s'agit d'un business très fructueux. Donc oui, comme vous pouvez le constater, je suis une véritable femme d'affaire. En dehors de mes activités professionnelles, il m'arrive d'essayer de mener un semblant de vie normale. De sortir, de traîner dans les bars, de boire... De boire énormément... De boire encore et encore... Pour tout vous dire, si je venais à ne pas mourir de la malédiction, il est très probable que je meurs alors d'un cancer du foie : ironie du sort, à cause de ma magie bien trop sombre, je serais dans l'impossibilité de me soigner si cela arrivait... Mon dieu, la honte. Mais donc voilà. Je sors, plutôt la nuit car les énergies sont bien plus négatives et que cela m'est bien plus agréable, je fais du sport, j'essaye... De donner plus ou moins l'impression d'être un être humain à peu près banal, histoire d'éviter qu'on ne me prenne encore plus pour la femme de satan. Je sais que j'en parle souvent, de monsieur satan, mais c'est parce que les rumeurs concernant une supposée relation entre nous sont très persistantes. Aucun respect de la vie privée, je vous jure.
✤ Manies, habitudes & goûts Boire. Oh mon dieu, j'aime tellement boire. Tellement. De tout, vodka whisky mais surtout du rhum, j'en ai toujours à la maison. Si je le pouvais, j'en consommerais matin midi et soir. J'aime aussi fumer, comme un pompier, et surtout du cigare. Enfin, même si lorsque je me mets à fumer du cigare et à boire du rhum cela signifie généralement que les cérémonies en l'honneur de Baron Samedi sont en préparation et ne vont pas tarder à arriver, puisqu'il s'agit de ses attributs. Ensuite, j'aime les serpents, dont mon bon Zombi. Mais il ne s'agit pas d'un serpent lambda de toute manière. Je le considère comme un véritable membre de ma famille, vraiment. Et il surpasserait tout chien de garde en terme de sécurité. Il est venimeux et traîne toujours dans la boutique ou dans ma chambre. A votre place, je ferais attention à là où je mets mes pieds. Donc boire, fumer, les serpents... Les cimetières aussi. Le sang. C'est glauque, n'est-ce pas ? Et pourtant, je vous assure que j'apprécie ce genre de chose, sans que j'en connaisse moi-même réellement la raison. C'est juste inné, naturel. Quand les petites filles demandaient des chambres roses, moi je demandais qu'on me peigne les murs rouge sang. Je passe aussi beaucoup de temps à lire, et à fouiner, dans de vieilles bibliothèques, de vieux grimoires : je suis avide de pouvoir, je le sais, je l'assume, et je fais en sorte de pouvoir répondre à cette soif de la manière adéquate qui se résume donc à apprendre autant de choses que peut me le permettre mon modeste esprit. J'ai appris des langues anciennes afin de pouvoir déchiffrer des parchemins, et une grande partie de mon temps libre est consacrée à de nouvelles expériences qui sont plus ou moins dangereuses et plus ou moins réussies suivant les jours : on ne peut jamais connaître le résultat d'un rituel par avance, que voulez-vous. Mais je suis capable de parcourir de grandes distances uniquement pour obtenir un talisman rare, un objet magique, un entretien avec un vieux mage ou n'importe. Capable aussi de donner de ma personne s'il le faut pour la réussite d'un rituel : du sang, de l'auto-torture, peu m'importe les moyens tant que le résultat est là. Prenez moi pour une folle si vous voulez, mais ce n'est que la stricte réalité. Enfin, j'ai de temps en temps quelques activités typiquement humaines. Comme sortir, dépenser de l'argent, acheter de belles choses, de magnifiques vêtements et bijoux, avoir une bonne partie de jambes en l'air. Il faut bien que j'aie une part de normalité en moi, après tout.
✤ Magie utilisée Avant de parler de ma propre magie, il est crucial que je vous fasse part de quelques petits faits historiques. Marie Laveau, la première mambo vaudou de la famille, est née en 1801 et a vécu en Nouvelle-Orléans jusqu'à 1881. Plutôt pas mal, n'est-ce pas ? Son espérance de vie suffit à mettre la puce à l'oreille : vivre aussi longtemps à une telle époque est plutôt louche, non ? Elle n'est pas née sorcière, mais a développé ses pouvoirs. Elle s'est adonnée à toute sorte de magie même si sa spécialité restait le vaudou. Néanmoins, étant avide de pouvoir, et étant largement appréciée des démons et des divinités les plus sombres ( ce qui est plutôt compréhensible étant donné la noirceur de son âme et de son aura – enfin, je peux parler moi, vu la mienne... ), elle finit par passer un pacte vers la fin de sa vie avec Baron Samedi : Ioa de première importance, chef des Gédés qui sont les loas de la mort. Ca commence à sentir mauvais tout d'un coup, hein ? Le pacte est plutôt simple à comprendre : la possibilité d'utiliser des sorts, très ancienne sans être marqué physiquement ou psychologiquement et à grande ampleur, donc notamment dans le but de maudire et surtout de tuer ( néanmoins, l'aura sombre et l'âme sombre, on ne peut pas réellement y échapper ) mais... Si le contre-coup n'est pas physique ou psychologique sur le moment, s'il n'est pas immédiat, il est néanmoins réel, et plutôt cher, très très cher. Une mort à trente-cinq ans pour toutes les sorcières de la famille sur toutes les générations à venir, toutes, sans exceptions. Concrètement, cela veut dire que l'effet boomerang ne vient certes pas immédiatement, mais qu'il existe et qu'il est destructeur : avoir une existence de vie de trente-cinq ans. Ce qui équivaut dans mon cas à perdre près de quarante-cinq ans. Finalement, c'est un peu une vie à la carpe diem. Utiliser des sorts puissants, s'en donner à cœur joie, mais mourir jeune. Tout à un prix, et même moi, je suis bien contrainte de l'avouer. Donc, tout ce blablatage sert finalement à expliquer ma capacité à utiliser le vaudou dans des fins très nuisibles, la magie rouge voire même de la magie ancienne ( même si je ne suis pas encore tout à fait au point, mais eh, personne n'est parfait ) sans que je ne sois marquée physiquement sur le moment, ni réellement épuisée mis à part lorsque je pousse le bouchon un peu trop loin. Cela surprend certains. Les pousse à penser que je suis une superwoman. Mais non mon chou, non. C'est simplement que moi, je mourrais à trente-cinq ans pour tout ce que je fais actuellement, voilà tout. Même s'il m'arrive de pratiquer de la magie rouge et de la magie ancienne à petite dose, ma grande spécialité reste le vaudou. Et parallèlement la magie rouge. Mais encore une fois, le vaudou, car après tout, je suis une Mambo, comme l'ont été toutes les Laveau avant moi : je dirige des cérémonies, je me fais posséder notamment par Baron Samedi lors de certains rites ( d'ailleurs, c'est plutôt drôle à voir, un sacré spectacle, je bois du sang de pauvres petits animaux assassinés sauvagement, si si... ou parfois du sang de vierge aussi, mais faites comme si je n'avais rien dit ). Néanmoins, ce qui me différencie des autres prêtresses ( ou prêtres, je suis pour l'égalité des sexes ) vaudou est mon habilité pour les sorts impliquant la mort et la zombification. Oui, je suis extrêmement douée pour tuer, à petit feu ou subitement, à distance ou à proximité ( ce qui s'explique aisément par la protection de Baron Samedi, qui n'est autre que le dirigeant des Ioas de la mort, rien d'étonnant à ce que j'y arrive aussi bien ) et il m'arrive d'ailleurs d'utiliser de temps à autres de jolies poupées pour le faire histoire d’honorer le folklore même si en réalité il me suffit d'un simple cheveu pour y arriver. Et, dans le même temps, je suis extrêmement douée pour créer de jolis zombis, même si j'utilise cette qualité bien moins fréquemment que la première citée. Quant à mes principales faiblesses : le fait que je me prendrai dans la face un boomerang énorme conséquence de toute ma vilaine mauvaise pas gentille magie excessivement utilisée à trente-cinq ans, mais aussi, ironiquement... La magie blanche. Les Laveau n'ont jamais été très douées pour la magie blanche : notre magie est tellement noire, tellement pervertie, tellement souillée par le sang que les choses les plus basiques nous sont bien difficiles. La guérison et ce genre de truc mignon, je n'y arrive tout simplement pas. Tuer oui, guérir non. Ce qui m'aide à canaliser ma magie ? Mon petit grigri à moi ? Une bague de pied. Oui, vous avez bien entendu, de pied. Il fallait quelque chose de discret, et qu'on ne repère pas facilement. Une bague de pied, sérieusement, qui pourrait y penser ? Cette bague de pied a été offerte à feu Marie Laveau Ière du nom par Baron Samedi lui-même. La légende familiale dit qu'elle serait constituée d'ossements de sorciers puissants pratiquant la magie ancienne dont il aurait littéralement dévoré l'âme. Et enfin... La Tenebrae. Est-ce étonnant que j'en fasse partie ? Non. Mes tantes, dès sa création, y ont pris part. Elles étaient des prêtresses rouges, et à leur mort, j'ai le plus naturellement du monde pris la relève. Je ne suis pas encore ce que l'on appelle une prêtresse « confirmée », disons que je suis une prêtresse rouge en « devenir ». Je n'ai que vingt-cinq ans après tout. Même s'ils ne devraient quand même pas trop tarder à m'offrir une promotion, car vu que je risque de rendre l'âme d'ici une dizaine d'années... Quant à la Blanche-Confrérie, ils me surveillent de très près comme ils l'ont toujours fait avec les Laveau, mais ils se doutent que je ne tarderai pas à mourir de toute manière donc bon... Puis, pas comme si je m'en souciais réellement. Quand on y regarde de plus près, plus que tous ces rituels, que la magie rouge, ancienne, vaudou ou peu importe, ce qui fait toute ma puissance est surtout le fait que je n'ai rien à perdre. Strictement rien à perdre. Que je n'ai pas peur de la mort dans le sens où, dans tous les cas, je mourrai bientôt. Alors je prends des risques et je m'en donne à coeur-joie en attendant enfin que ce soit mon heure.
✤ Convictions La révélation n'a rien changé à mon existence. C'est surprenant je sais, mais pourtant vrai. En Nouvelle-Orléans, certains étaient sceptiques, doutaient de nos pouvoirs mais une bonne partie de la ville adhérait à ce que faisaient les Laveau, donc nous n'avions pas vraiment à cacher notre pratique de la magie. Puis, nous avions connaissance de l'existence des vampires et autres bestioles du genre depuis perpète, car certains étaient nos clients. La révélation n'a donc rien apporté de nouveau. Enfin, mis à part une augmentation de notre business, et de notre crédibilité auprès de la masse populaire. Je me souviens que lors du jour-même de la révélation, il y avait eu un afflux de personnes au manoir, toutes souhaitant des grigris, des protections et on ne sait quoi. Pour empêcher les vampires de les approcher, pour tenir éloigner les lycanthropes, ce genre de chose. Bref. Donc la révélation... Ne m'a fait ni chaud ni froid. Il fallait que ça arrive, un jour ou l'autre, et c'est arrivé. Point final.
✤ Signes particuliers Une marque de naissance, sous le sein, proche du coeur. Vivante. Qui bouge. Et dont la forme varie en fonction du temps. A la naissance, elle est bien noir. Puis au fur et à mesure, elle se vide, et n'en reste que les contours. En réalité, ce qui se vide correspond au temps qui passe. Car cette marque matérialise surtout la malédiction dont toutes les Laveau sont atteintes, sans exception. ... Enfin, j'espère pouvoir l'éviter mais ... Enfin bref. Marie Laveau, la toute première Marie, a vécu quatre-vingt-et-un ans, sacré veinarde. Mais c'est bien la seule. Car elle a pactisé avec Baron Samedi, l'une de nos divinités. Sa protection, et du pouvoir. Mais en échange, la vie de chaque femme de sa descendance à trente-cinq ans. Et impossibilité d'avoir une naissance autre que celle d'un enfant de sexe féminin, d'ailleurs. Une véritable tribus d'amazones. Depuis, chaque Laveau, sans exception, meurt à l'âge de trente-cinq ans, dans des circonstances toujours très différentes et variées. Mais  inattendues. Ma mère est morte cinq ans après ma naissance, mes tantes ont eu tout juste le temps de terminer mon initiation qu'elles l'ont suivie, ma grand-mère a péri à trente-cinq ans aussi... Bref. Toute. Il ne reste plus que moi, et je suis la prochaine sur la liste.

Who is Marie Laveau ?

« Elle est si belle...
- Venitie. Arrête de pleurer. On prendra soin d'elle, tu le sais bien.
- Mais ce n'est pas pareil. J'aimerais être là, moi aussi. La voir devenir une jeune femme. Lui inculquer mon savoir. Lui transmettre ce que ma propre mère m'a appris. »

Les naissances sont à la fois un événement heureux chez les Laveau, et très douloureux pour la mère. Qui sait alors qu'elle ne sera pas capable d'assister à toutes les étapes de la vie de son enfant. Et que cet enfant, tout en le mettant au monde, elle le voue à ne pas dépasser les trente-cinq ans. Naître chez les Laveau est une malédiction, oui. Ma grand-mère avait eu son premier enfant, c'est-à-dire ma mère, à vingt ans. Elle avait donc pu l'éduquer jusqu'à ses quinze ans, et s'occuper d'une bonne partie de son initiation. Mais ma mère, quant à elle, m'a eue à trente ans. Il ne lui restait plus que cinq ans à vivre, donc. Elle craignait que je ne puisse pas même me souvenir de son image ou des quelques années passées avec elle – ce qui n'est malheureusement pas tout à fait faux. Pendant cinq ans, elle fut partagée entre l'envie de me traiter comme une enfant normale, comme elle aimerait le faire, en profitant de chaque instant passé en ma compagnie et... Entre mettre certaines distances entre nous, afin que sa mort ne m'affecte pas. Elle pencha plutôt pour le second choix. Garder ses distances. Elle laissa mes tantes s'occuper de moi, afin que je m'attache plutôt à elles. Et lors de sa trente-cinquième année, elle nous quitta comme les autres l'ont fait avant elle, dans des circonstances tout à fait banales. Enfin, banales pour des sorcières. Lors d'un rituel pour Baron Samedi, elle s'était écroulée, et mes tantes avaient compris. A vrai dire, je me souviens qu'à l'époque, je n'avais pas pu m'empêcher d'avoir une drôle d'impression. C'était étrange. L'ambiance était étrange. Comme si quelque chose ne tournait pas rond. Cette mort n'était pas naturelle, et à cinq ans, je le savais déjà.

On m'expliqua rapidement ce qu'il en était. Que je ne vivrais que trente-cinq ans, que mes tantes allaient s'occuper de moi jusqu'à mes dix-huit ans et que par la suite, elles mourraient à leur tour. A six ans, on m'avait annoncée cela, le plus naturellement du monde. Et comme pour m'habituer à cette idée, elles ne cessaient de l'aborder à table, ou lors de sorties. Comme s'il s'agissait d'une banalité. Sauf que non. Je compris rapidement, une fois à l'école primaire, que dans les autres familles, que chez les autres, on ne mourrait pas à trente-cinq ans. Je compris aussi que je n'étais pas comme les autres lorsqu'un jour, dans un éclat de colère, j'ai manqué d'étouffer l'un de mes camarades de jeu en le touchant à peine. Dangereuse la Heilani, même dans la cour de récré, n'est-ce pas ? Enfin, des camarades de jeu... Je n'en avais pas beaucoup à vrai dire. Ils me craignaient, tous. La fille Laveau. Ils n'étaient pas assez suicidaires pour m'approcher. Mes tantes pactisaient avec le diable, faisaient des rituels étranges, sacrifiaient des corps et je ne tarderais pas à en faire de même. Alors m'approcher ? Non, jamais.

A l'âge de six ans, mon initiation commença. Il n'y avait pas de temps à perdre. Les années étaient comptées, et il fallait m'apprendre le plus de choses possibles avant la date d'échéance. Les cours n'étaient pas une priorité, mais le vaudou oui. Lorsque les enfants « normaux » lisaient des livres de Oui-Oui et de Winnie l'Ourson, moi j'apprenais à lire grâce à des parchemins. J'avais des devoirs, mais totalement différents. Pas de dictée, mais récitations en tous genres, de rituels, d'attitude à adopter face à telle ou à telle situation, ou encore l'apprentissage de langues mortes. Mes jouets ? Les vieilles poupées de mes tantes, qu'elles avaient déjà utilisés et qui ne leur étaient plus d'aucune utilité. Ou des ossements. Je trouvais ça cool à l'époque, ça faisait "badass" et puis ça faisait des bruits étranges. Je manquais souvent les cours, mais personne ne disait rien dans mon école : toutes les Laveau y avaient été scolarisées, et c'était monnaie courante de ne les voir en cours que de temps à autres. Je devais assister aux cérémonies, je devais être là à chaque fois qu'un événement important avait lieu. Enfin, elles attendirent tout de même que j'aie dix ans avant de me faire assister à mon premier meurtre.

C'est drôle, parce qu'en parallèle, nous tentions pourtant de garder un semblant de vie normale. J'invitais des copines et des copains à la maison. On prenait des photos. On mangeait des gâteaux. Le plus intéressant commença néanmoins lorsque j'atteignis l'adolescence. Ce qui est dangereux est toujours attirant. Et c'était justement mon cas. Même si j'en menaçais plus de la moitié de les transformer en crapaud ou en salamandre lorsque notre relation prenait fin, j'eus de nombreux petits copains. Des copines, aussi, qui me demandaient de maudire leurs exs pour telle ou telle raison. Plutôt bon enfant, donc. Parce qu'ils ne se doutaient pas réellement, eux, de ce qui se déroulait en parallèle, lorsque je ne venais pas en cours, ou lorsque parfois je revenais mais avec des coupures sur les bras. Lorsque j'eus quinze ans, le rythme devint plus soutenue. Il ne restait plus que trois ans, et il fallait donc se dépêcher afin que je finisse mon initiation à temps. Il fallait aussi me légitimer, auprès de la communauté. Commencèrent alors les premiers meurtres. Comment tuer à distance, à petit feu... Comment créer des zombies. On se rendit à de nombreuses reprises à Haïti, où je fis la rencontre de quelques prêtres et prêtresses. Petit à petit, mes tantes commencèrent à me pousser vers le devant, et à prendre le rôle de spectatrices. Je n'allais plus en cours, parce que je devais m'occuper des visites. Je devais répondre aux demandes des clients. Tuer, faire des grigris. M'occuper de la Maison Blanche. Jusqu'à ce que la date tant redoutée finisse par arriver.

Parler de cette malédiction est une chose. La vivre en est autre chose. J'en avais conscience, certes, mais... Pas tant que ça à la fois. Enfin, j'avais la marque, je la voyais se vider, et ce fut affreusement effrayant lorsque je me rendis compte que le noir qui la remplissait s'était vidé de moitié, comme quoi, il ne me restait plus qu'à peine une dizaine d'années et des broutilles au compteur. Mais... Mais ce n'est pas pareil que de le vivre. La trente-cinquième année est un enfer car on ne sait jamais quand est-ce que ça va arriver. On sait seulement que ça va arriver. Mes tantes étaient des jumelles, et elles moururent toutes les deux le même jour, au même moment. C'était à table. Le plus bêtement possible, elles s'étouffèrent avec un grain de riz. Et elles comprirent immédiatement, lorsqu'elles s'aperçurent qu'elles étaient toutes les deux dans la même situation et... Que c'était bien trop... Trop étrange pour être naturel. Je crois que si je devais choisir un jour dans mon existence que je nommerais de plus horrible, atroce et … Dérangeant jamais vécu, ce serait celui-là. Même lorsque je me coupais les bras jusqu'à atteindre mes veines parfois dans certains rituels, je ne ressentais pas une telle douleur et un tel désarroi. A dix-huit ans, en l'espace d'une nuit, je me suis retrouvée seule, sans plus aucune famille, unique descendante, condamnée à finir exactement pareil. Seule, horriblement seule. Avoir des fidèles est une chose, mais être réellement entourée en est une autre. Ils nous craignent. Ils me craignent. Ils ne m'obéissent et m'adulent que parce que je les effraie. Ce n'est que pour cette raison qu'ils me respectent. Les seules à me considérer à ma juste valeur étaient donc mes tantes. Et elles sont parties. Je le savais, j'y étais préparée, et pourtant... Je crois qu'à cette horreur, qu'à cette connerie que nous a infligé la première Laveau, on n'est jamais suffisamment préparé en fin de compte.

J'avais passé la nuit à pleurer, avec Zombi dans les bras. Comme une gamine. Pitoyable, je sais. Zombi ? Mon serpent. Enfin, notre serpent, et c'est peut-être bête mais il s'agit là de la seule famille qu'il me reste. Alors oui, je le chéris, je ne le quitte jamais et j'ai fait mon deuil avec lui dans les bras, en une nuit. Car le lendemain, je devais déjà être passée à autre chose. Du boulot m'attendait.

Je n'eus pas même besoin d'expliquer aux gens ce qu'il s'était passé, ils y étaient habitués. A vrai dire, tous dans la ville s'attendaient à ce qu'elles partent dans l'année, vu qu'elles avaient trente-cinq ans et qu'aucune Laveau n'y avait jamais échappé. Vêtue d'un habit traditionnel, j'avais pris en main les rituels. L'inhumation. Mon initiation s'était terminée, j'étais une mambo, la relève était assurée. Un tas de rituels, pour éviter que leurs corps ne soient mutilés comme cela était bien trop souvent arrivé dans le passé – il est arrivé qu'on arrache la tête de certaines Laveau par exemple, ou qu'on profane leurs tombes –, pour éviter qu'on ne puisse en faire des zombies, ce genre de précaution. Le tout dura près d'une semaine, car même une fois leurs corps enterrés, tous les soirs, je devais faire de nombreux allers et retours entre le cimetière et le manoir. Pendant ce temps, il fallait aussi reprendre les affaires en marche, car l'argent ne tombait définitivement pas du ciel. Retour à la normalité, donc. En attendant que j'aie trente-cinq ans moi aussi.

Mais non. Non, je ne voulais pas. Ca peut paraître stupide, ou suicidaire, mais j'en ai strictement rien à faire, je ne voulais et ne veux toujours pas finir pareil. Sérieusement. Pas question que je crève à trente-cinq ans. Qui s'occuperait de tous ces rituels me concernant, hein ? Peu importe comment je m'y prends, impossible d'avoir une fille qui une fois mon heure arrivée aurait fini son initiation. Puis à qui je la laisserais, après ma mort ? Et puis... Je ne veux pas. Pourquoi accepter qu'on m'inflige une telle chose ? Le Baron Samedi, il est bien gentil mais je trouve qu'il a déjà fait assez de dégâts comme ça. Oui, bon, nous aussi on en fait des dégâts. Notamment moi. Surtout moi. Mais et alors ? Ce n'est pas une raison. J'ai l'impression que nous avons déjà suffisamment payé notre dette. D'autant plus que je passe mon temps à lui faire des sacrifices, de vierges et d'animaux et de tout ce qui grouille sur cette Terre. Je ne veux pas. Je ne crèverai pas à trente-cinq ans. Du moins je l'espère. En Nouvelle-Orléans, je n'ai pas trouvé grand chose pour m'éclairer, les sorcières principales ici sont les Laveau et il n'y a donc pas grand monde qui s'y connaisse dans le domaine des malédictions, il s'agit de l'une de nos spécialités à nous. A Haiti, ce ne fut guère mieux. Même si un prêtre me lança l'air de rien de commencer à chercher du côté des autres créatures. Tiens donc...

La lycanthropie, n'est-ce pas une sorte de malédiction ? Et le vampirisme aussi ? Après tout, la malédiction du vampire est qu'il a, d'une certaine manière, la vie éternelle. La mienne est d'avoir une vie qui s'arrête à trente-cinq ans. Et si... Et s'il y avait finalement quelque chose à faire avec ce petit détail ? Shreveport grouille de toutes ces bestioles. C'est ce qui m'a encouragée à m'y rendre. Mon père m'y a légué un manoir – oui, mon père. Car pas d'immaculée conception, nous avons bien des géniteur, chez les Laveau. Seulement, ces derniers sont juste de passage. Avoir une relation stable ne fait pas partie de nos habitudes, aucune de nous n'est jamais en couple, ou alors uniquement afin d'avoir un enfant et ensuite, oust raoul. Mon père ne m'a même pas vue à la naissance, pour tout vous dire. Ma mère s'était déjà débarrassée de lui. Mais eh, au moins, il aura servi à quelque chose tout de même. Un beau manoir à Shreveport, je ne vais pas cracher dessus. Je n'ai pas quitté la Nouvelle-Orléans définitivement, néanmoins. Ce n'est qu'un départ temporaire. Et quand je m'y réinstallerai de nouveau, peut-être que j'aurai trente-six ou trente-sept ans. De toute manière, au point où j'en suis, je n'ai rien à perdre. Soit je réussis et je vis, soit j'échoue et je meurs comme prévu. Dans tous les cas, j'aurai eu le mérite d'essayer.