❝ Assis-toi, fils. ❞

La voix de grand-mère est aussi implacable que le lever du soleil, le vent et la poussée des arbres. Je frissonne mais fais ce qu'elle ordonne, mes fesses se posant avec docilité sur le banc de bois évidé autour du feu. Les bûches craquent comme des os, et les flammes lèchent le début de cette nuit chaude. Mon regard se lève, mon nez renifle autour de moi, et j'observe avec une révérence respectueuse et muette les étoiles et la lune-mère. Un  claquement de langue dans la vieille bouche me rappelle à l'ordre et je baisse mes prunelles, faussement timide. J'ai retenu un gémissement d'animal, car ça ne plaît pas à grand-mère, quand j'ai des tics de bête. Elle dit que c'est mal que mon humanité soit trop accaparée par l'animal. Qu'il faut que j'arrive à trouver l'équilibre. Ou alors, je finirai par avoir une moitié dominée par l'autre. Elle me dit que ce n'est pas ce que je souhaite, mais je me raconte parfois que ça ne serait pas mal d'être beaucoup lynx et moins humain. On monte moins bien aux arbres sans griffes, après tout.

❝ Ecoute-moi au lieu d'avoir le nez au vent ❞ gronde t-elle avant de reprendre, en tisonnant le foyer rougeoyant, ❝ tu sais pourquoi ils ne sont pas là ce soir, ton père te l'a répété un nombre incalculable de fois. Et moi, je suis là pour voir si ta bête ressort. ❞ Je hoche la tête, les yeux emplis de larmes à cause de la fumée qui danse dans mon visage. Mais je réalise, un peu tard, que ce n'est pas uniquement à cause de cela : mes articulations me font mal, me brûlent. Père m'a souvent parlé de notre lignée : nous sommes tous des hommes-félins. Des hommes révérés pour leur lien avec la nature, respectés par les autres clans d’amérindiens, et craint comme vénérés. ❝ A voir tes traits crispés, tu as mal. C'est une bonne chose. ❞ Je ne vois pas en quoi la soudaine douleur qui traverse mes nerfs est une bonne chose mais ma bouche est trop sèche pour que je réponde. J'ai envie de vomir, mon estomac semble vouloir faire la révolution, avec torches et fourches. Je tombe à quatre pattes sur le sol poussiéreux de la réserve, et je vois le visage de ma grand-mère au-dessus de moi. Sa voix n'a plus rien d'agréable, et je l'entend qui scande, qui chante. Ma vue se brouille. Quand mon esprit se réveille, je cours. Non, c'est autre chose : tout mon corps participe à cet effort. Ma rapidité me laisse pantois, je halète, et si la douleur est là, creuse comme un puits qui ne se remplira jamais assez, la liberté, la connexion avec ce qui m'entoure, tout cela explose en moi dans une cascade d'émotions. ❝ Je suis moi ! ❞ je hurle à la lune, mais seul un feulement de joie sort de mes babines. Je me remet à courir, pas un instant à perdre. Je dois retrouver mon père et ma meute : c'est également un défi, aux nouveaux garous. La première nuit de leur transformation, ils doivent s'intégrer au clan en usant de leur bête. Je me lance sur la piste, flair aiguisé ; il est hors de question que je rate cette étape décisive dans mon apprentissage. J'ai été préparé à ça toute ma vie. Je n'avais aucun droit d'échouer.

❝ Les longs-crocs ne sont pas aussi ridicules que ce qu'il te semble, fils. ❞ J'étais en train d'en mettre plein la vue à ma petite amie, en lui racontant des légendes de mon peuple. Elle était américaine, et pleinement curieuse de ma culture. Je n'avais pas entendu arriver mon procréateur et sursautai, honteux. ❝ Si j'étais toi, je partirai. ❞ Ce n'était pas un conseil. Je n'oublierai jamais le regard qu'elle me lança : mélange de honte, de frustration, de rejet, de curiosité. Tout cela scellé dans ses iris si bleus. ❝ Dois-je te battre comme plâtre pour que tu apprennes ? Tu fais un bel écervelé. ❞ La taloche me fait résonner le crâne, mais je l'ai mérité : hormis les chefs de notre tribu, personne n'a réellement le droit de sortir de la réserve. Notre clan fait cela pour nous protéger. Mais je me sens uniquement étouffé - mon père a beau réajuster mes avis en expliquant que notre liberté, c'est notre bête qui nous l'offre, j'ai envie d'autre chose que de feux de camp. Je veux que mes nuits soient étoilées de lampadaires et de bruits de véhicules. Je veux tout connaître des cultures qui me sont si lointaines, si différentes. Et je ressens l'acceptation du lynx en moi : ceci n'est plus notre territoire. Nous devons gagner le nôtre propre.

J'ai été lâche - je me suis enfui. Laissant un simple mot, à ma grand-mère. Je n'ai jamais été spécialement courageux, et face au regard déçu de mon père, rempli de désespoir d'avoir un fils qui abandonnait, je n'aurai pas pu poursuivre ma décision. Mes pas aussi souples et certains qu'un prédateur, c'est en conquérant que j’atterris dans un petit état américain. L'aventure commençait. Je me mis à déambuler, et un jour, je tombai sur une plage. Le sable, la mer, tout cela était neuf pour mes yeux. Cela avait la saveur du miel et des épices, du sucre et du feu. Et alors, je les vis. Leurs casquettes à l'envers, leurs torses tatoués et halés par le soleil, ils agissaient sur la pesanteur comme des magiciens, faisant tournoyer à leurs pieds des objets roulants. Je m'approchais, lentement, intimidé par leur meute - car c'était ce qu'ils étaient non ? Tous rassemblés, faisant passer des bouteilles de verre, fumant des cigarettes à l'odeur âcre. Ils me jetèrent un même coup d'oeil, et je m'immobilisais sans avancer plus. Ils acceptèrent ma présence sans m'inviter ni me rejeter. Et j'appris, par leurs mots, le skate. Vint un instant, où on me proposa une bière. Un tatouage. Une casquette. Un skate. La liberté faite homme. Je gagnais ma vie comme homme à tout faire, et je devenais ce que j'avais envie. C'était un réel sentiment de liberté quand, le matin, je me levais avec la satisfaction de faire ce que je désirai, quand je le voulais.

Cette période de ma vie était la plus brillante. J'apprenais sur le tas ce qu'on m'offrait, acceptais ce que l'on me donnait. Je me mis à voyager, de frontières en frontières. Un jour, un capitaine me proposa de m'offrir une traversée vers l'Europe contre un petit service. Il fut plus ardu de mener à bien ma mission, mais je finis par mériter cette récompense, et la mer me rendit aussi heureux que malade. Le retour sur le plancher des lynx me sembla durer une éternité, et mes sens mirent plusieurs jours à se remettre. Les pays se succédaient, les tatouages formaient une carte de mes pérégrinations, un pour chaque clan ou meute que je rencontrais, pour encrer mes souvenirs dans ma chair, comme des blessures volontaires. Mon bonheur fut total quand, en Roumanie, une meute de félins me fit sien. Me soumettre ne me posait pas encore spécialement de problèmes, car ils savaient écouter aussi bien que me comprendre. Il y avait notamment un Italien dont je devins rapidement l'ombre. Tiego. ❝ Ce que je préfère, c'est dormir au milieu des racines, bien à l'abri, quand la chaleur ne tape pas trop forte. ❞ ❝ La chasse, mon ami. La chasse vaut toutes les siestes du monde. ❞ Nous aimions à nous chamailler, comme deux frères. J'avais eu deux petites soeurs, une grande soeur, et trois grands frères, et les liens familiaux étaient une seconde nature pour moi. Tiego avait huit ans de plus que moi, et sa présence avait quelque chose de reposant. Il était le dominant de notre clan, mais ne nous imposait réellement aucune menace. Il était cependant celui qui tranchait dans les discussions ou les querelles. ❝ Je refuse. Je n'aime pas que les humains sachent, pour nous. Non, Megane, pas besoin d'insister. Je refuse. ❞ Et cette répétition avait les inflexions d'un ordre. Si mes oreilles l'avaient pu, elles se seraient rabattues en arrière. J'étais décontenancé : allait-on réellement se disputer à cause d'humains ? De leurs décisions stupides ? Pourquoi n'allions-nous pas chasser ? J'avais faim, et soif, et je voulais beaucoup d'autres choses, mais surtout nous éloigner de cet endroit, comme si la querelle y avait enfoncé ses racines, et que loin de ce lieu, nous retrouverions notre calme. Mais Megane se dressa, furieuse, les joues empourprées et les yeux rougeoyant. Tous firent de même, et la tension me rendit malade presque physiquement. Mais si ma voix avait voulu s'élever pour les apaiser, je n'avais ni le courage ni l'intention de les interrompre. Tiego feula, littéralement. ❝ Les humains savent notre existence, et ceux qui chassent notre race depuis des siècles n'en sont que bien plus assurés que la peur et l'incompréhension vont surplomber la compréhension et l'empathie. Tous, ils ne désireront que notre mort. Alors, oui, je refuse qu'on se montre à Sibiu. ❞ Je devais avouer que, se dévoiler ainsi à la ville la plus proche relevait du suicide. ❝ Tous ne pensent pas comme toi. Le statut d'homme-bête peut être compris comme un lien puissant avec la nature. Ils nous comprendront, ils nous accepteront, car nous leur ferons comprendre qu'ils n'ont pas le choix. ❞ Je n'aimais pas la menace sous-jacente à cette voix habituellement amicale.

Le sang et les cris. La fumée du feu, qui s'attise sous les hurlements d'un corps qui y a atterri. Je fuis, encore une fois. L'explosion du clan a également fait imploser ma confiance en ces êtres. Je fuis leur dispute futile et leurs envies si dissociées des miennes. Et puis, Tiego n'est plus - j'ai vu pleinement les griffes de Mégane lui arracher la gorge. J'ai entendu le son de sa voix gargouiller et ses yeux morts, comme ceux d'un poisson, luisants et vides. Peut-être que je pleure, en même temps que je cours. J'esquive agilement les branches, me roule en boule, et je laisse la bête prendre le dessus. L'émotion est trop forte. Le lynx repousse cela, et le vide se créé. Il aspire tout le négatif. Et je m'enfuis, toujours.

❝ Vous auriez pas, genre, un travail pour moi ? ❞ J'ai un sourire charmeur à cette vendeuse de Shreveport. J'ai senti, en arrivant, un mélange d'effluves qui m'ont poussé à m'y arrêter. Son sourire à elle est incertain, et mon regard devient félin, hypnotique. ❝ S'il vous plaît ? Je pourrais soulever les caisses sans problème, je suis fort ! ❞ Je relève mes manches, retrousse mon bras pour montrer mes muscles. Ma peau est halée, mon corps est sain. Peut-être que je lui plais, mais elle finit par accepter. Je prendrais mes dûs sur les poissons que je déposerais au magasin, durant les trajets. Je change encore, je deviens facteur, vendeur, peu importe. Tant que j'ai du temps de libre pour rouler sur le bitume, tout azimuts. Et quand le soleil tape trop fort, je vais me rouler en boule dans la forêt, je chasse les insectes, je vais manger une glace, assis sur des murets de pierre. La vie est belle, et je ne veux plus penser au passé. J'ai trop fui pour être en paix avec moi-même, alors autant ne plus y penser. Quand on pense trop à l'ailleurs, on en oublie de vivre.

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Paradis artificiel CHOIX DANTESQUE ♆ Inventé.P'TI NOM ♆ Miri le p'tit gris. RUMEURS ♆ j'aime les chats. #team diego. SESAME ♆ Validé par Bailey LE VENT D'EST ♆ partenariat ou bazzart, yé né sais plou.DECLARATION ♆ VOUS ÊTES BEAUX PUTAIN. keurkeur.    TROMBINE ♆ Tyler Posey.