Celle qui ne demande rien à personne mais qui a toujours l'art de se foutre dans la merde

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Je m’éveillais doucement d’un songe et me glissais dans une douce torpeur, cet état même qui n’est autre que la limite entre sommeil et réveil. Je n’avais pas encore ouvert les yeux et je commençais tout juste à comprendre que les bruits que j’entendais ne provenaient pas de mon rêve mais bel et bien de la réalité. Je fronçais les sourcils en sentant la fatigue qui pesait lourdement, je ne voulais pas me lever, cela ne pouvait être déjà l’heure, impossible. C’est seulement quand cette pensée prit tout son sens que je comprenais que quelque chose n'allait pas, alors j’ouvris les yeux. Mon regard se perdit dans la pièce plongée dans l’obscurité avant de rencontrer un rai de lumière qui filtrait en dessous de la porte. Il devait être dans les deux heures du matin, heure à laquelle tout le monde était normalement couché. Cette fois j’entendis des voix, celle de mes parents que je connaissais par cœur, mais quelque chose dans clochait. J’avais onze ans à l’époque et ma curiosité fut plus forte que les promesses émises par mon lit et ses draps agréablement chauds. J’ouvris donc la porte sans bruit et me dirigea sur la pointe des pieds vers le salon, car me semblait-il, les bruits provenaient de cette pièce. Dans le long couloir qui menait vers elle, je pouvais enfin comprendre la conversation que s’y tenait. « Tu ne peux pas partir ainsi, sans explication ! », à l'intonation, je devinais que mon père était en colère. « Lâche moi Patrick. » Puis des talons qui claquent durement sur le carrelage. « Au revoir. » juste un murmure mais suffisant afin de couper court à l’échange. J’arrivais au moment où la porte se refermait doucement, j’aperçue même un pan de la robe rouge qu'elle adorait porter. « Papa ? » Mal à l’aise et inquiète je me tournais vers lui cherchant la protection et le réconfort de l’homme que j’aimais le plus au monde. Ce dernier s’empressa de me prendre dans ses bras tout en me reprochant d’avoir quitté mon lit à une heure aussi tardive mais je ne l’écoutais pas, toutes mes pensées tournaient vers ma mère. « Papa qu’est ce qu’il se passe, maman elle va où ? » Je me mis à gigoter dans tous les sens, déterminée à obtenir une réponse. Il ne me répondit pas et s’élança dans le couloir en ignorant mes cris de protestation. J’en arrivais à lui labourer le torse de mes petits poings furieux et de coups de pieds ses jambes. Je ne savais pas ce qui se passait, je ne comprenais pas mais une boule venait de se former au creux de mon estomac et un étau comprimait mon cœur. Je ressentais pour la première fois de mon existence une vive angoisse et je n'avais pas les mots pour le décrire. Une fois dans ma chambre mon père ferma la porte derrière nous, me posa au sol et tomba à genoux. Du bout des doigts il me caressa la joue, enserra ma taille très fort, enfuit son visage dans ma chevelure dense et pleura. Devant pareil spectacle je me figeais, incapable de faire quoique se soit, aucun son ne franchissant la barrière de mes lèvres. Demandez à n’importe quel enfant et il vous donnera toujours la même réponse à savoir « Mon papa c’est le plus fort du monde ! » Alors comment réagir quand celui-ci s’effondre littéralement devant vous ? Je restais un moment stupéfaite, ne sachant quelle attitude adoptée. Finalement je craquais et les larmes commencèrent à couler. Quand mes jambes refusèrent de me porter plus longtemps, mon père me recueillit dans son giron et me berça. Nous sommes restés ainsi longtemps et encore aujourd’hui j’ignore pourquoi il me répétait sans cesse « Je suis désolé. » Ce fut la dernière fois que je pleurais devant lui. La dernière fois qu'il pleura devant moi.

« Tu ne savais pas ce que tu faisais. Il t’a manipuler. Oh mon dieu, Mélusine. » Je tenais fermement la main de ma sœur, je la serrais de toutes mes forces comme si nos vies en dépendaient. Je voulais être certaine qu'elle reste dans mon sillage, d'être capable de l'empêcher de fuir et de retourner à ses côtés. Je me sentais coupable, affreusement coupable car après tout j'étais celle qui avait accepté de suivre Julien. A l'époque je voulais en savoir plus sur mes dons et l'utilisation de la magie. J'avais cette envie insatiable d'apprendre et de développer mes facultés pour ainsi devenir une personne forte sur laquelle on peut compter. Je ne rêvais pas de gloire et de puissance, non, juste d'être une sorcière douée et capable de protéger les gens qu'elle aime. Notre oncle était le seul proche que nous connaissions et qui pouvait répondre à nos attentes. C'est pourquoi lors d'une énième proposition j'avais finit par dire oui et ce, malgré les mises en gardes de mon père, malgré ma méfiance envers lui. « Tu ne savais pas ce que tu faisais. » Je me répétais sans vraiment m'en rendre compte, dansant d'un pied à l'autre, passant une main sur ma nuque. Mon corps était aussi agité que mes pensées et cela me rendait complètement folle. Folle de colère, folle de chagrin, folle d'impuissance. Finalement les larmes commencèrent à inonder mes joues et cette fois je m'en voulue d'être aussi faible, je refusais de me montrer dans cet état devant elle mais il était trop tard à présent car il m'était impossible de stopper ce flot indésirable. Regarder Mélusine dans les yeux tandis qu'elle me caressait doucement les cheveux s'avéra au dessus de mes forces. Ma main droite maintenait toujours la sienne alors que je saisis son bras de la gauche. « Je vais nous sortir de là, il ne te touchera plus jamais. Je te le promet. » Et j'étais sincère, absolument convaincue par mes paroles puisque je savais pertinemment que je ferais tout mon possible afin qu'une telle chose ne se reproduise. J'allais emmener ma sœur loin de notre oncle, la mettre en sécurité et la protéger quoique cela implique, quoique cela m'en coûte. Que quelqu'un essaye juste de m'en empêcher, juste pour voir, que l'on s'amuse un peu ! Des volontaires ? Ne soyez pas timides, je ne mors pas. Quoique...

Je traversais un long couloir plongé dans l’obscurité, la seule chose que je distinguais, et avec peine, était l’encadrement des portes qui se découpaient de parte et d’autre à intervalle régulier. Je marchais rapidement mais prudemment, je n’osais pas courir de peur de perdre mon calme, trébucher et m’écrouler sur le sol. Ne me demandez pas pourquoi mais j’étais certaine que si cela arrivait, je ne trouverais jamais la force de me relever et de continuer mon chemin. Alors je mobilisais toute mon attention à modérer mes pas, d’abord le pied droit puis le gauche, droit, gauche et ainsi de suite. Cela me permettait de ne pas paniquer mais aussi de m’obliger à me concentrer sur un problème à la fois. Mon but, ma priorité, était de partir de cet endroit cette nuit, maintenant. Pour ce faire je devais absolument atteindre cette pièce et ensuite… Ensuite j’aviserais. Un problème à la fois m’exhortais-je puis le vide se fit à nouveau, comme je le souhaitais. J’étais douée pour compartimenter les choses, j’avais l’esprit pratique et je m’en félicitais. Peu de personnes peuvent s’en vanter et la plupart sont dans la tombe parce qu’ils n’ont pas su se sortir de la merde. J’espérais que ce ne serait pas mon cas ce soir car dans la merde je l’étais et jusqu’au coup. Je levais la main et frôlais le mur du bout des doigts, je n’avais pas besoin de lumière puisque je connaissais les lieux par cœur et l’allumer aurait fait de moi une cible facile. Ce que je ne voulais pas. Enfin j’arrivais devant mon ancienne chambre dans laquelle je m’engouffrais en toute hâte puis verrouillais la porte d’une main tremblante bien que je savais pertinemment que cela ne servirait à rien. J’entendis alors quelqu’un crier mon nom et me figeait sur place, un étau venait de comprimer ma poitrine m’empêchant de respirer. Je pensais disposer de plus de temps. Prise de panique je portais mes mains à ma gorge et suffoquais impuissante, la barrière mentale que j’érigeais en permanence pour me protéger d’attaques extérieures venait de voler en éclat. Je tombais à genoux me griffant le coup comme si cela pouvait m’aider tandis que le rire moqueur de Lorcan résonnait dans mon esprit me meurtrissant au passage. Le sous fifre, pardon, l’ami de mon oncle ne m’avait jamais apprécié et ce sentiment était partagé. Je sentais le contentement qu’il éprouvait d’avoir enfin la possibilité de me faire mal, il lui en avait coûté toutes ses années de ne pas avoir la possibilité de répondre à mes provocations. Quand la porte vola en éclat j’étais allongée par terre, sur le flan, le monde tanguait dangereusement et seule mon obstination m’empêchait de tomber dans les pommes. Puis la pression s’évanouit et l’air emplit à nouveau mes poumons, je toussais et me mit péniblement à quatre pattes en observant les deux hommes qui venaient de franchir le seuil. Au centre de la pièce, à quelques pas de moi, se tenait Julien. Bien droit, les poings serrés, il me fusillait du regard et mon cœur manqua un battement. Malgré ma peur, malgré mon lien de parenté avec cet homme, j’éprouvais toujours une haine virulente à son égard qui me poussait à lui tenir tête. Lorcan se trouvait légèrement en retrait et avait adopté la position d’un garde du corps ; les pieds bien écartés pour l’équilibre, les mains croisées sur le devant, la gauche enserrant son poignet droit. Il affichait un grand sourire, le genre de sourire que l’on a lorsque l’on meurt de faim et que le serveur vous ramène un énorme steak sur une assiette. Son regard plongé dans le mien semblait me promettre un tête à tête violent et douloureux. Youpi. Un frisson me parcouru, ce type m’avait toujours fait flipper parce que je savais parfaitement qui il était, un sociopathe. Malheureusement nos chemins se croisaient souvent, j’avais peur et pour ne pas le lui montrer, je lui lançais des piques jusqu’à le faire sortir de ses gonds. Je sais je peux être vraiment con des fois. En fait je devais uniquement mon oncle le fait d’être encore vivante en ce moment et en reportant mon attention sur lui j’étais quasi certaine qu’il regrettait à présent ces innombrables interventions. Il avança vers moi, passa une main autour de mon coup, me souleva et me plaqua contre le mur. Je ne fis rien pour l'arrêter. J’avais à nouveau le souffle coupé, super ! « Pourquoi es-tu revenu vers moi alors que tu refuses toute coopération ? » Sa voix était basse, chargée de colère et mon prénom résonnait à mes oreilles comme s’il s’agissait d’une insulte. A vrai dire je n’avais pas eu le choix. Si cela n’avait tenu qu’à moi je serais restée sagement de mon côté à chercher un moyen de le tuer et je me serais montrer qu’une fois prête. Au lieu de cela je jouais les toutous pour la Confrérie ou plutôt l’appât. Voilà des années que l’organisation souhaite mettre la main sur Julien et elle était sur le point d’y arriver grâce à moi qui leur montrer le chemin et comment s'introduire discrètement chez lui. J’ouvris la bouche mais aucun son n’en sorti, je pouvais à peine respirer et parler m’étais impossible. Je tentais alors de lui répondre par la pensée mais échouais à cause du bouclier infranchissable qu’il dressait entre lui et moi. Il du sentir mes tâtonnements sur son rempart psychique car il consentit à desserrer légèrement son étreinte. « Tu me connais, je suis un peu maso sur les bords. » A la base je voulais lui donner une autre réponse mais parfois les mots sortent sans que j’aie le temps de réfléchir. « Je te donnais une opportunité, je t’offrais le pouvoir. » l’entendis-je murmurer, ses lèvres à quelques centimètres de mon oreilles. « Comprends-tu qu’après ce soir, tu ne pourras plus faire marche arrière ? » Je répondis sans détour, à quoi bon mentir ? Je refusais de revenir en arrière et de toute manière il connaissait la réponse, nous le savions parfaitement tous les deux. « Oui. » Une douleur fulgurante éclata alors dans ma tête et je retombais sur le sol en hurlant. Décidément lui et moi allions devenir potes. Des centaines de poignards s’enfonçaient et se retiraient dans mon crâne en même temps qu’un feu ardant le consumait. J’entourais ma tête de mes mains sans vraiment m’en rendre compte et observait Lorcan qui s’approchait de moi à pas lents. J’étais terrifiée et il le savait, j’aurais le droit à tout sauf une mort rapide et indolore. Soudain, j’eu envie d’effacer ce sourire, plus rien ne comptait désormais et je me fichais bien des risques à prendre, je me fichais des instructions que l’on m’avait donné. Je ne pouvais plus attendre l’arrivée des renforts sans broncher. Alors je fermais les paupières et me concentrais, je me détachais de la souffrance et cherchais mon centre de pouvoirs que j’activais d’une légère caresse. Un courant d’air chaud jaillit de ma poitrine, explosa à la fois à l’intérieur et à l'extérieur de mon corps. Le flux me parcourait de façon ininterrompue de la tête aux pieds et formait également un écran de protection tout autour de moi. Une petite brise passa sous mon pull, me lécha le ventre, la nuque puis s'amusa avec mes cheveux. C'était un geste affectueux pour me montrer qu'elle était là pour moi, me protégerait. Lorcan paru sceptique mais guère impressionné, il était bien plus puissant que moi et aurait facilement le dessus. Je ne pouvais donc pas le battre sur le plan "magique" mais j'avais un atout dans ma manche, même plusieurs, et il l'ignorait. Depuis des mois je m'entrainais au combat au corps à corps, beaucoup de sorciers n'y voyaient pas l'intérêt, mais moi je préférais être parée à toutes éventualités en partant du principe que tout est bon à apprendre. Il fallait donc qu'il se rapproche et pour cela je ne voyais qu'une solution : le provoquer. Ça tombait bien puis qu’apparemment j'étais la reine des chieuses. Je fis donc quelques pas vers lui et m'en donnais à cœur joie « Tu sais, j'ai toujours pensais que si tu as une aussi grande gueule, c'est pour compenser la taille minuscule de tes couilles. Ou alors est-ce parce que tu es totalement impuissant ? » A peine j'eus finis ma phrase qu'il plongea, franchement certaines personnes sont trop prévisibles, mais pour cette fois je n'allais pas m'en plaindre. Lorsque Lorcan arriva sur moi, je me servis de son élan pour le déstabiliser. J'attrapais son bras gauche que je fis passer par dessus mon épaule, positionnais mon dos contre son ventre, pivotais et le plaquais au sol. Sous la surprise et le choc de ce qu'il venait de se passer, il écarquilla les yeux et n'eut pas le réflexe de réagir, sans attendre je pris le couteau dissimulé dans son fourreau sous ma manche droite et le plongeais dans sa poitrine. Lorcan cria en même temps que le sang commença à s'écouler de sa blessure mais ne se releva pas. Je le regardais tandis que ma conscience restait obstinément silencieuse et de toute manière je n'aurais pas eu le temps de l'écouter puisqu'un cercle de flammes venait de se dresser autour de nous. Je me levais lentement, fit fasse à mon oncle et sa rage me gifla de plein fouet. Je titubais mais ne me laissais certainement pas déconcentrer, je gardais en tête mon objectif : Partir d'ici. Je m’apprêtais à lancer mon attaque lorsque des cris résonnèrent brusquement. Les sorciers de la Blanche Confrérie venaient de débarquer. Je soupirais, comme le dit le dicton : Mieux vaut tard que jamais. J’utilisais le feu pour empêcher Julien d’atteindre les fenêtres, soit sa seule issue. Soudain, le parquet craqua, les lattes en bois sombre s’allongèrent et nous entourèrent les jambes nous clouant sur place. « Ce n’était pas nécessaire en ce qui me concerne. » lançais-je à un Cilian hilare « Un accord est un accord. Ma liberté contre la sienne, mon aide comme preuve de mon innocence. » Ce dernier m’écoutait à moitié plus intéressé par mon oncle que par ma modeste personne. « Simple mesure de précaution. » finit-il par lâcher. C’est ça, cause toujours.