22/11/1994 - Los Angeles

Elle aurait du mourir. Elle aurait du étouffer dans le ventre de sa mère suite au choc. L'accident fut comme un éclair dans le ciel : brusque et glacial. La mère de l'enfant était morte quand les secours arrivèrent sur les lieux. L'enfant fut extrait sur le bas chaussé, elle ne respirait pas. Pourtant, le massage cardiaque la ramena. Et ce ne fut pas un hasard que ce soit les Nicholson qui la récupérèrent.

Lever le voile

Dire que monsieur et madame Nicholson étaient des saints, ce serait mentir. Mages rouges tous les deux, ils avaient désiré cet enfant. Tellement forts, tellement profondément que la mère porteuse avait séjourné avec eux pendant toute sa grossesse. Ils la nourrissaient, lui préparaient des potions, prenaient soin d'elle. Une junkie. Tout bêtement. Une junkie qui était la descendante d'une famille de sorcier mais qui avait fuit ses propres dons par la drogue. Quand ils la trouvèrent enceinte et désœuvrée, ils firent leur possible pour que l'enfant n'ait pas d'handicaps, et ils sevrèrent la mère grâce à leur magie. Tant et si bien, que cette dernière recouvra ses esprits et qu'elle prit la fuite, au lieu de leur faire confiance pour l'accouchement...

C'est ainsi qu'Austyn naquit à Los Angelès, et que sa mère rendit l'âme. Les Nicholson furent heureux de constater que l'enfant était en parfaite santé.

L'amour n'a pas de couleur, mais la magie en a une.

Austyn grandit sans rien savoir de sa mère. Les Nicholson préféraient ne rien lui dire à son sujet. Après tout, ce n'était qu'une droguée qui, sans leur intervention, aurait corrompu la santé d'Austyn qui se portait comme un charme. Ses grands yeux bleus enchantaient toute personne qu'elle croisait, tandis que le dessin semblait prendre une importance capitale dans sa vie.

Elle ne posait pas de question à outrance concernant son passé. Elle comprit que sa mère était morte, et qu'elle avait été chanceuse d'être dans une famille aimante et ne manquant de rien. Les Nicholson firent tout leur possible pour l'éduquer aux règles de la nature, en insérant la magie petit à petit dans sa vie. Austyn se sentit très vite aimée, même dans ses moments de colère...ce qui l'amena à prendre l'amour comme quelque chose d'acquis...alors même qu'au fond d'elle subsistait un manque face à cette mère et ce père biologique qu'elle n'a jamais connu. Avait-elle provoqué la mort de sa mère ? Et son père, pourquoi n'avait-il pas voulu d'elle ?

Elle gardait ses questions pour elle, car au final, ses parents, les seuls qu'elle a jamais connu, prenaient soin d'elle. Elle avait toujours une nounou avec elle pendant que maman faisait de la gynécologie et que papa vendait des immeubles. A 5 ans c'est ce qu'elle avait compris...et ce n'était qu'un commencement.

Une enfant en or

C'est ce qu'elle était. Toujours studieuse, elle excellait dans tous les domaines : la musique (elle faisait du piano), les mathématiques, les langues et plus particulièrement la géométrie. Elle passa une bonne partie de son enfance à penser à des choses puis à dessiner des traits géométriques...Ses parents l'observaient avec bienveillance, sachant pertinemment où elle s'en allait, sans oser espérer qu'elle y arriverait.

Tic tac, tic tac, les affres de l'adolescence

C'est une chose d'être une enfant douée dans ce qu'elle entreprend et une adolescente bourgeonnante d'acné. On la montrait du doigt, lui donnait des surnoms en tout genre, tant et si bien que la petite Austyn passa quelques nuits à pleurer avant de créer une rune miracle. Pour ça, elle étudia les grimoires que ses parents mirent à sa disposition. Mais au delà de ça, elle avait un vrai don pour inventer ses propres formules. Tant et si bien qu'elle réussit à créer sa première rune d'illusion qui camoufla totalement son acné.

C'est à partir de ce moment là qu'elle se sentit au delà de tout le monde. Elle remarqua comme les gens étaient manipulables et influençables et développa son estime face à ses parents et aux amis devant lesquels elle était amenée à défiler afin qu'ils perçoivent la perfection de la rune. C'est à partir de ce moment là que la tenebrae la couva du regard.

Pendant les deux années qui suivirent, Austyn expérimenta son pouvoir de séduction. Elle s'amusait toujours autant à faire de la géométrie en respectant les lois de la nature, mais elle ressentait des instincts plus primaires dans son corps qui se féminisait. Son regard devenait farouche, cerclé de khôl, tandis que ses tenues devenaient très courtes. Elle expérimentait tant et si bien, qu'elle se perdit en chemin. Première scission dans son âme, sans qu'elle ne le perçoive. L'unique chose qui restait stable fut l'attention de ses parents adoptifs et de leurs proches, ainsi que cette propension à la pousser toujours plus loin dans l'invention de runes. C'est à cette période qu'elle mit en place des runes porte malheur, qu'elle offrait l'air de rien à ses « copines » qui lui faisaient de l'ombre. Tout ça sous l'oeil avisé de ses parents qui l'encourageaient toujours...Un soutien immuable qu'elle ne comprenait pas.

Car au final, Austyn n'était pas mauvaise en soi, son âme était innocente et se colorait de noirceur avec les années. Tout petit doucement, en préparation à l'entraînement intensif qu'elle allait suivre sous peu.

Elle ne comprenait pas les cauchemars qu'elle faisait tous les soirs, la faisant se réveiller en sueur. Elle ne comprenait pas cette compulsion qui lui faisait avaler tout ce qui lui tombait sous la main avant qu'elle aille se faire vomir, ou encore les vertiges qui étaient les siens...Ses parents lui disait qu'il s'agissait des contre coups de sa magie. Et au lieu de s'arrêter là, elle cherchait à inventer des runes pour palier à ses contre coups...Vous voyez le cercle vicieux s'instaurer ? Tant et si bien, qu'elle fit un black out – rupture de son âme – et qu'elle se réveilla non pas dans le confort de sa chambre, mais dans un endroit où une jeune fille de 14 ans ne devrait pas se trouver.

Les ténèbres dévorent la lumière et les petites filles...

Il faisait noir. Terriblement noir. Elle avait beau ouvrir les yeux, le noir restait immuablement...noir. Elle entendait un clapotis. Judicieux clapotis qui faisait remonter l'odeur d'humidité du lieu. Elle hurla « Maman ! ». Elle hurla « Papa ! ». Mais seul l'écho de sa voix remonta à ses oreilles. Elle était assise sur une chaise. Elle sentait le bois usé sous ses fesses, elle sentait sa peau totalement nue se heurter à des menottes. Elle appela à l'aide. En vain. Elle tenta de se détacher. En vain. Enfin, au bout de plusieurs minutes, heures ou pire encore, le sommeil la ravala.

Elle se réveilla. L'absence de lumière créait un état vaporeux dans tout son être. Était-elle dans le coma ? Ou tout simplement morte ? Elle avait le clapotis comme confident, tandis que son corps se trouvait affaiblis par le manque de nourriture et d'eau. Elle ne hurla pas. Quelque chose en elle qu'elle ne connaissait pas se réveilla à ce moment là. Elle aurait aimé tracé des runes, mais elle ne le pouvait pas. Alors, elle se concentra. Elle les imagina. Seulement ça. Elle y pensa tant et si fort qu'elle perdit à nouveau connaissance.

Elle se réveilla. Elle était étendue sur le sol, face contre terre. Elle se redressa, sentit ses membres libres de toute entrave. Avait-elle réussi, ou l'avait-on libéré durant son sommeil ? Elle n'en avait aucune idée. L'unique chose qui comptait c'est qu'elle était libre ! Aveugle, mais libre ! Son ouïe s'était développée. La seule chose qui la guida fut le clapotis de l'eau. De l'eau qu'elle voulait boire. Elle s'y dirigea, à tâtons, ne rencontrant que le vide jusqu'à ce qu'elle tombe dans un bassin d'eau ! Une fois la surprise passée, elle se mit à boire goulûment, recouvrant par la même ses esprits. Suite à cela, elle remarqua une lumière, comme un rai se lumière sous une porte. Elle y alla, chercha une poignée sans la trouver. Elle se mit à tambouriner, tant et si bien que la porte se poussa et que la lumière l'aveugla.

Quand elle recouvrit la vue, elle perçut un logement luxueux, rien à voir avec la cave dans laquelle elle se trouvait. Elle fit quelque pas, oubliant sa nudité. Elle sentit la moquette sous ses pieds et ses mains. Marcher à quatre pattes étaient bien plus confortable que debout. Elle n'avait pas conscience du temps, tout ce qu'elle souhaitait c'est voir des visages familiers. Au lieu de cela c'est un homme qui se présenta à elle. Elle se débattit, ne trouvant pas la force de parler et elle se réveilla, cette fois-ci, dans un lit.

Quand ta destiné frappe à ta porte, consacres lui trois années

Il ne lui donna pas son vrai nom. Elle devait l'appeler maître ou Harold. Il lui parla de tout. De la tenebrae, de la Blanche Confrérie, des différentes magies...et il lui parla d'elle. De l'avenir prometteur qui est le sien. Des runes qu'elle avait déjà réalisé. De celles qu'elle sera amenée à inventer. Mais plus que tout de son rôle qui va être déterminant pour le rétablissement de la tenebrae. Il ne lui fit aucune promesse pour revoir ses parents. Il ne lui permit pas de sortir du manoir qui est le sien tant qu'il n'avait pas confiance en elle. C'est une chose qui se gagne.

Voulait-elle prouver qu'elle était digne de confiance ? Qu'elle était digne des espoirs que la tenebrae misait sur elle ? Oui. Bien sûr que oui. Austyn avait la sensation de se réveiller d'un cauchemars. D'une vie où elle avait tout, sauf la prétention de tout savoir. Ses parents lui manquaient, mais elle savait qu'elle les reverrait si elle se montrait à la hauteur. C'était un défi à relever n'est-ce pas ? Il y avait eu une cassure en elle et personne ne s'en préoccupait. Le maître ne lui demanda à aucun moment comment elle allait. Elle comprit alors à garder ses émotions pour elle, à les manger, et à les nourrir d'une certaine façon. Elle comprit ce que vivre dans l'ombre voulait dire après avoir été populaire et puissante dans son collège de Los Angelès. Elle entrait dans le monde des grands. Et elle, l'enfant prodige toujours bien aimé, ne savait pas encore à quel point.

Elle étudia. Tout ce qui pouvait lui passer sous la main dans l'immense bibliothèque du manoir. Particulièrement les anciennes langues, nécessaires à la pratique de certains rituels. Le maître continua son enseignement scolaire en accentuant la géométrie, lui montrant le sacré en chaque chose. Un sacré, arrosé de sang. De son propre sang. Une goutte était bien souvent suffisante pour provoquer un effet à long terme. Il lui apprit à utiliser les cristaux pour accentuer l'effet de ses runes. Il lui apprit à créer des filtres...Une vraie école de sorcier, durant la première année...Une année intensive, où elle apprit à sentir dans son corps les contre coups de sa magie. Mais ici, rien d'aussi spectaculaire qu'auparavant, bien que douloureux. Elle se sentait nauséeuse, au bord de l'évanouissement à maintes reprises suite à l'utilisation de rune de mauvaises fortunes. Concernant les runes d'illusion, elle expérimenta leur contre coup qui l'amenait à avoir des hallucinations qui duraient de quelques minutes à plusieurs heures...

Mais le maître l'aida à distinguer l'illusion du réel, même dans le cas des hallucinations. Du moins il fit son possible durant les deux années qui suivirent. Pour se faire, il l'envoyait mettre des runes dans certaines boutiques de la ville. De rester sur place voir la réaction des gens, et de se confronter à ses propres hallucinations. Réussir à ne pas perdre son sang froid et revenir jusqu'au manoir. Les premiers essais furent un échecs. Mais Austyn développa une détermination qui l'amena à dépasser ses propres peurs. Ainsi, elle apprit à récolter des informations concernant des personnes que le maître lui donnait pour cible et les lui rapporter. Peu à peu, les cibles étaient plus difficiles à atteindre, comme la femme du maire de la ville où ils vivaient. Par de savants calculs (devenir la baby sitter référencée par l'ancienne nounou, puis petit à petit se faire confidente de la femme du maître de la ville), Austyn avec son sourire d'ange et son air d'innocente, réussit à avoir des informations concernant les prochaines élections.

Ce n'est qu'au bout de ces trois années qu'elle revit ses parents adoptifs. Elle leur parlait régulièrement au téléphone, juste assez pour être motivée et les impressionner. Mais à ses 17 ans, ils furent son plus beau cadeau...En plus d'un tatouage qui servira de lien de communication entre elle et la tenebrae pour ses futures années loin d'eux tous.

Le maître l'avait préparé à rencontrer Alessia Ghiona. Il lui dit tout ce que la tenebrae savait à son sujet. Inventant une nouvelle vie à Austyn qui fera tomber inévitablement la directrice de la Blanche Confrérie dans le panneau...

Nouvelle vie, nouvelle identité...toujours la même détermination.

Quand Austyn quitta la côte ouest pour celle de l'est, c'est avec une toute nouvelle identité. N'ayant pas encore atteint ses 18 ans, elle commence son cursus en psychologie appuyée par ses parents qui ont de l'argent à revendre. A ce niveau-ci, pas grand chose de nouveau, à part le fait qu'elle se sente mal aimée, et que la jeune sorcière traîne le soir auprès de vampires. Tout ça pour renvoyer l'image d'une jeune femme frêle, qui cherche l'adrénaline durant ses soirées de solitaires au lieu de rester tranquillement à la bibliothèque. Il est clair qu'un mentor lui manque et c'est en croisant Alessia Ghiona elle-même qu'elle va se faire remarquer.

Grâce aux informations de la tenebrae, Austyn savait où trouver la directrice qui sortait d'une de ses librairie favorite. Austyn, ses bouquins contre son sein, ne regardait pas où elle allait, occupée à jouer à la jeune femme rêveuse. Elle entra dans Alessia qui sentit d'office que la jeune femme était une sorcière. Elle remarqua également le cahier remplit de runes qui s'était ouvert malencontreusement en tombant au sol.

Le reste est assez habituel. Austyn joue la fille désolée, tandis qu'elle ramasse bien vite tout ce qui est au sol. Elle s'excuse encore avant que la directrice ne lui propose d'aller boire un thé ensemble. La directrice prend la température sur plusieurs rencontres, avant de lui offrir le gîte, le couvert...presque immédiatement, Austyn devient la disciple d'Alessia, et c'est au bout d'une année qu'elle se voit consacrée comme l'assistante officielle de cette dernière.

Une vie loin de tout ce, en quoi elle croit

Austyn a une vie assez commune aux yeux de tout un chacun, si ce n'est son apprentissage dans les runes, sa spécialité. Elle est assez populaire à son université, n'hésite pas à jouer du piano en public lors des soirées jazz ou encore à fréquenter les personnes influentes qu'elle peut croiser. Beaucoup aime sa bonne humeur, son côté presque enfantin face aux choses de la vie. Si vous avez besoin de lumière, elle est à même de vous l'offrir.

Pourtant, Austyn ne vise qu'à combler sa mission d'espionne pour la tenebrae. Le tatouage dans le creux de sa main ne dérange personne. Il est facile de mettre ça sur le dos d'une erreur d'ado, sachant qu'elle s'est créée un passé où elle a vécu une romance amoureuse avec un garou qui n'a pas été accepté par ses parents...ça vous rappelle quelqu'un ? Cette rune dans sa main avait pour vocation d'être lié par quelque chose de plus grand que l'amour qui la liait à celui qu'elle aimait...n'a-t-elle pas été idiote vous dira-t-elle en vous en parlant ? Penser qu'on pouvait rester unis tandis que la vie et le temps qui passe vous sépare...

Un mensonge à moitié, vu que ce tatouage lui rappelle Harold et ses parents. Il lui rappelle constamment la mission qui est la sienne, vu qu'il est le canal qui lui permet de donner et recevoir des informations...

Elle se sent seule, terriblement. Mais elle n'en laisse rien paraître, continuant à jouer son jeu à la perfection. Il n'y a que dans les moments de profonds doutes, qu'il lui prend de commettre des imprudences...comme la fois où elle s'est mit à dessiner des symboles à la craie en pleine forêt, tandis que ses camarades de classe étaient saoules. Rien de bien grave, à part qu'ils avaient tous oubliés ce qu'ils avaient fait durant cette journée là...Pour Austyn, une façon d'expérimenter sa magie qui sort des sentiers de la Blanche Confrérie...

Elle est en pleine crise existentielle intérieure...pas encore assez forte pour qu'elle se rebelle, mais suffisamment pour sentir que ça ne pourra pas durer encore longtemps.