DATE & LIEU DE NAISSANCE ☞ le 11 décembre 1955, à Shreveport, Louisiane. AGE ☞ 61 ans, bien qu'il en paraisse 30 de moins. ORIGINE ☞ 100% du bayou. CAMP ☞ solitaire. FORME ANIMALE ☞ alligator. TYPE DE METAMORPHE ☞ métamorphe pur sang ; unique sujet de sa propre autorité. ETAT CIVIL ☞ célibataire, certainement à tout jamais.  METIER ☞ pécheur, apothicaire douteux, vendeur de gri-gris étranges, guide du bayou pour clients inconscients, mangeur de gêneurs, magouilleur dans sa cabane délabrée du fin fond des marais du South. Pas de métier officiellement, officieusement fait un peu de tout si vous avez de l'argent, de la chance, et des nerfs solides. ETIQUETTE ☞ autochtone à moitié sauvage, mi-stupide mi-dangereux, dégénéré du bayou, survivaliste sale, inadapté social et même, supposé mangeur d'enfants. Ce que la Louisiane profonde a pu produire de pire – n'entrez en contact avec lui qu'en cas d'extrême nécessité. Pour une poignée de malins, reptile solitaire, peu recommandable mais bizarrement sympathique.

Un brouillard de guerre entoure les premiers instants de la vie d'Hunter Thibodeaux. Plus les années s'accumulent, plus le brouillard s'épaissit et s'éloigne, comme une brume adipeuse et hostile tombée sur un territoire familier. Si vous lui posiez la question de son enfance, il vous répondrait dans un grognement qu'il n'en sait plus rien, que tout ça remonte à trop loin maintenant, et que de toutes manières ça ne l'intéresse pas. Il ne porte pas son histoire comme un fardeau, car il ne sait pas ce qu'est un fardeau ; seulement c'est son histoire qui le porte, lui et sa solitude, sa bête intérieure, son ignorance crasse et sa force brutale. C'est une histoire triviale, du genre de celles qu'on sait se produire dans certaines familles du cru, pas exceptionnelles, mais qui vous font lâcher un petit soupir de pitié, teinté du soulagement de ne pas en faire partie. Une histoire de pauvres gens, d'idiots du village, de paysans bornés dont la bêtise entraîne les vices, comme un cheval fou entraîne sa calèche vers le précipice. Une histoire de malheureux qui construisent ce qu'ils peuvent avec le peu qu'ils ont, décisions radicales, choix sans nuances, manque de cœur, maison branlante et famille trop nombreuse. Nous connaissons tous ce genre d'histoires. Celle-ci n'est pas différente.
Hunter Thibodeaux est le huitième enfant de Jeremiah et Phyllis Thibodeaux, et le premier d'entre eux à naître garou. La nuit de sa naissance précéda celle de la pleine lune, ce qui sembla au deux parents une explication suffisante à la singularité du garçon. Jeremiah était transformé lorsque naquit son fils, incapable qu'il était de contenir ses pulsions ; Hunter ne dû sa survie qu'à la solidité de la trappe en métal qui fermait la cave, dans laquelle sa mère mit bas. Aux hurlements du bébé se mêlaient les bruit de raclement du crocodile contre l'acier, cherchant à entrer, excité par l'odeur du sang, et les cris de peur de ses plus jeunes frères et sœurs. D'habitude, leur père s'isolait lorsque la maladie s'apprêtait à frapper, pour s'empêcher de faire du mal à sa progéniture. Mais il avait cette nuit voulu rester pour l'accouchement, négligeant les risques, déclarant avec orgueil qu'il saurait se retenir. Bien entendu, il avait eu tort.
Le jour revint, et la vie reprit son cours dans la vieille maison délabrée, accolée à un champ de maïs dont la superficie se réduisait année après année, mangé par le bayou et mal entretenu par ses propriétaires. Ce champ avait été autrefois une vaste culture esclavagiste, et le grand-père de Jeremiah un homme devenu riche grâce au sang des exploités. Mais l'esclavage avait été aboli, la famille déchirée par l'apparition du virus qui transformait en monstre, et la fortune avait fondu comme neige au soleil. Seule était restée l'arrogance de ce passé fastueux, la haine de l'étranger, et l'obsession maniaque de la grandeur familiale. Alors que certains de ses frères avaient réussi à la ville, Jeremiah Thibodeaux s'était terré dans la vieille maison des marécages, veillant sur le champ comme un chien sur son os, se vautrant dans la misère avec une fureur qu'il appelait dignité. Phyllis était la fille de sa cousine, bête comme lui, et le prêtre local n'avait pas voulu les marier. Il avait frappé le prêtre, traîné Phyllis jusqu'à la baraque, et fait d'elle sa femme sans l'aval de personne. Les parents de la pauvre fille ne protestèrent pas – ils avaient trop peur de l'homme-crocodile.
De cette union naquirent Jeremiah Jr, Philip, Adelaide, Alette, Francis, Conrad, Jezabel et donc, Hunter. Suivront également Leocadia, Solange, Raymond, Christopher et Tiffany. Peut-être y en eu-t-il encore d'autres, c'est en tous cas là qu'ils s'étaient arrêtés quand Hunter a quitté la maison – treize enfants. Ils allaient à l'école quand bon leur semblait, et surtout quand il n'y avait pas de travail au champ qui nécessitait la jeune force de leurs petits bras. Leur père buvait et leur filait des roustes, leur mère avait vu son peu de tendresse effacé par sa vie de poule pondeuse ; ils travaillaient au champ, jouaient dans les marécages, filaient à travers les arbres pour chasser la grenouille et tuer les oiseaux, comme une meute de jeunes chiots n'ayant jamais connu que la promiscuité, la crasse et la rudesse d'une vie de sauvages.

Hunter était comme ses frères, ni plus fort ni plus faible, ni plus beau ni plus laid. Il s'était inscrit dans la tribu comme une pièce dans un puzzle, trouvant sa place sans difficulté et agrandissant le tableau sans en changer le fond. Il semblait être voué à la même vie que tous, parasite humain du bayou ; mais à la première pleine lune de sa dixième année, tout le monde comprit que ce ne serait pas le cas. Sa mère accusait Dieu, son père cette foutue malédiction de nègres, mais seul le hasard de la génétique fit hurler le petit garçon à la mort cette nuit là. Son père était parti au bayou, seuls restaient la mère et les autres enfants. Tous s'enfermèrent à la cave, pris de la même panique que dix ans plus tôt, la même panique rendue froide par l'habitude qui les prenait à la gorge chaque fois que le virus frappait. Ils attendirent là toute la nuit, la mère psalmodiant des "je le savais, bon dieu, je le savais que ça devait arriver un jour", les petits les yeux grands ouverts, abasourdis à la pensée qu'un demi-animal dormait depuis toujours avec eux dans la chambre.
Le matin vint, et pour la première fois Jeremiah ne fut plus seul à reprendre forme humaine. Lorsqu'on lui apprit la nouvelle, il resta étonnamment silencieux, fixant son fils apeuré, recroquevillé sur une chaise du salon, comme s'il le voyait pour la première fois. Quelque chose se passait en lui, tout au fond, mais c'était à la fois trop simple et trop complexe pour qu'il puisse l'exprimer. Dans le doute il lui colla une gifle, et dit "va pas penser qu'ça t'fais une excuse pour pas bosser au champ". Puis il sortit pour aller travailler, décidant que ça ne changerait rien à sa vie. Une fois de plus, Jeremiah avait tort.
À partir de ce jour, les rapports qu'Hunter entretenait avec sa famille changèrent. Il n'était plus un chiot parmi les autres chiots, mais un reptile dans un nid devenu étrangement étroit. La bête et lui faisaient connaissance, elle était comme une nouvelle amie ayant éclipsé les anciens, comme une première amoureuse devenue soudainement plus importante que tout. Lorsqu'il sentait qu'elle arrivait, il courrait dans le bayou et se transformait, rapidement, dans la douleur gauche mais libératrice d'une première fois. Il lui semblait alors avoir concrétisé la vie que lui et ses frères et sœur menaient, une vie d'animal, car il en était devenu un. Jamais les autres ne comprendraient, jamais ils ne connaîtraient cette sensation intense d'euphorie sauvage qui l'envahissait lorsqu'il glissait dans l'eau, lorsque sa mâchoire broyait une proie, lorsqu'il sentait le sang. Ils ne seraient jamais que des singes maladroits courants dans la forêt, de petites proies sans envergures, alors que lui était prédateur, était maître et bourreau, pouvait faire de leurs jeux puérils un mode de vie. Bien sûr, il ne pouvait pas poser de mots là-dessus ; mais confusément il sentait en lui s'éveiller une nature toute autre, un instinct féroce qui devait tôt ou tard éclater au grand jour.
Il ne se transformait jamais en présence de son père, par pudeur plutôt que par respect. Le respect n'avait jamais été un mot d'ordre chez eux, et n'était que l'auxiliaire de la crainte et de l'appréhension des coups. Personne n'inspirait le respect, on ne faisait que l'imposer. Personne ne contredisait la supériorité du père, c'était lui qui criait le plus fort et frappait le plus dur. Et surtout, ce qu'on disait peu mais qui planait malgré tout comme un fantôme malsain : c'était lui qui, la nuit, se voyait pousser des crocs. Mais désormais, cette règle tacite était brisée, et il semblait alors que quelqu'un, finalement, pouvait être en mesure de s'opposer au maître. Hunter, s'il n'avait été qu'humain, n'en aurait jamais vu l'intérêt : pourquoi malmener une règle aussi bien établie, aussi facile à suivre que l'obéissance absolue au patriarche ? Il ne savait pas. Mais, en lui, couvait cet instinct fauve, cette fierté animale, ce besoin de plus en plus insistant de montrer les dents, et de se battre. Son père le sentait – en lui aussi, le sang s'activait, chauffait ses membres dès qu'il croisait le regard de son fils, sans qu'il ne sache pourquoi, mais sans qu'il ne se pose cette question non plus. C'était ainsi, c'était l'instinct, la nature, le chasseur solitaire qui ne supportait pas l'adversité. Ce n'était qu'une question de temps, avant qu'ils ne laissent éclater leur fureur.
Cela se produisit lorsque que Hunter avait 16 ans. La nuit tombait, et la lune allait être pleine – en lui, la bête grondait. Il était sorti précipitamment par la porte de derrière, car elle était plus près de la chambre et qu'il sentait qu'il ne se retiendrait pas plus longtemps. Dehors, une pluie fine s'écrasait sur les marais, en un plic ploc sourd. Là, Hunter tomba nez à nez avec son père.
Il avait quitté la maison au même moment que lui, par l'entrée. Cela faisait plusieurs mois qu'ils s'évitaient, d'un accord tacite, sentant bien sans savoir pourquoi qu'une rencontre se terminerait mal. Leurs regards se croisèrent, surpris, sans colère ou animosité particulière. Il ne s'agissait pas de ça. Pourtant, soudainement et simultanément, ils se transformèrent, comme entraînés par le destin.
Le combat fut âpre, mais relativement court. Tous deux faillirent y laisser la vie. Jeremiah était un vieil alligator, grand et robuste, expérimenté ; mais son fils était plus solide encore, et avait atteint en assez peu de temps une taille très respectable. Et puis, il y avait une rage en lui, supérieure à tout ce que son père pouvait convoquer d'énergie. La nécessité ancestrale pour le jeune de soumettre l'ancien, et de conquérir de nouveaux territoires. Ils se mordirent, se déchirèrent jusqu'au sang, s'entrechoquant comme des dragons sous la lune ronde. La profondeur des blessures ne leur laissait pas le temps de guérir, et bientôt une mare de sang les entoura, diluée par la pluie qui tombait en trombe. La famille regardait par la fenêtre, sans dire un mot, le massacre de leur chair, pour des raisons qu'ils ne saisiraient jamais. Et finalement, un gagnant se dégagea.
Jeremiah était tombé au sol, et n'avait pas pu se relever. Alors, son corps céda, et il reprit forme humaine, nu, recroquevillé dans la boue et le sang comme un vieux fétus couvert de blessures. Hunter, mu par un réflexe de prédateur, se jeta sur lui comme pour l'achever ; mais Jeremiah leva la main et il s'arrêta net. Son bras tremblait, il manquait des phalanges à ses doigts. Son souffle était rauque, lorsqu'il parla :
- Me tue pas, fils… T'as gagné… Pense à la famille… T'as gagné j'te dis… Mais sans moi… Les zot', y mourront d'faim…
Hunter posa ses yeux fendus sur la fenêtre crasseuse. Il distinguait les formes floues de tous ces petits humains, et de la vieille mère trop cassée pour travailler, veillant sur sa portée. Il se dit, dans le flot confus de ses pensées barbares, que lui aussi avait été un chiot, avant.
Il regarda son père, ce vieil homme gisant au sol, vaincu, et se demanda comment il avait pu le craindre. Déjà ses blessures se refermaient. L'afflux sanguin se calmait, et la pitié remplaça un court instant la haine. Ce fut cet instant qui épargna la vie du vieux Thibodeaux : son fils le contourna, sans adieu, sans plus le regarder. Puis il s'en alla, de sa démarche lourde de crocodile, pour se glisser dans les eaux sombres du bayou. La pitié avait vite disparue, remplacée par de l'indifférence. Ce chapitre de sa vie était clos.

Hunter erra un moment aux abords de Shreveport, sans entrer vraiment dans la ville, qui le dégoûtait. Il croisa certains de ses cousins, jeunes ou vieux alligators de la famille ; ils firent un bout de chemin ensemble, s'affrontèrent quelques fois, mais Hunter tâcha de rester relativement respectueux tant qu'il n'aurait pas son territoire à lui. Ce fut chose faite environ deux an après sa désertion : il se trouva un coin dans les marais du South suffisamment loin de tout pour ne pas être dérangé, et suffisamment près des hommes pour avoir de quoi faire. Il y avait une cabane de pêcheur, et un vieil homme y vivait : il mangea l'homme, et s'installa dans la cabane. C'était la première fois qu'il goûtait à la chair humaine ; il ne ressentit rien de particulier. Sa vie de solitaire commença là, régulière, bien rodée, avec de petites surprises de temps en temps, mais globalement toujours la même. Il ne revit jamais sa famille, et n'en eu jamais l'envie. Il continuait, seul, de vivre à moitié sauvage.

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