Identité
✤ Traits de caractères
Elle a la tête haute, la prophétesse, comme ceux qui n'ont jamais appris à baisser le regard. Elle a la tête haute et la fierté muette. Ses mots et ses maux, elle les garde pour elle, dans le secret d'un coeur qui bat pour autrui et s'oublie. Parce qu'elle est comme ça, Boti : elle examine le monde à s'en brûler les yeux, elle remplit sa mémoire à s'en faire exploser l'esprit, elle tend l'oreille à s'en briser les tympans. Elle reste en retrait - une ombre pâle facile à occulter, une silhouette si fine qu'un coup de vent pourrait l'emporter. Hétérocentrée et dévouée, effacée de son plein gré à un point tel qu'on l'en oublierait.
Enfin, pas tout à fait.
Malgré tout son silence, la voyante marque les mémoires quand elle se dévoile, magnétique. C'est qu'elle porte son don et devoir comme une couronne d'épines, Boti - comme le fardeau et le flambeau qu'est sa vocation. Elle y puise tant ses craintes que ses convictions, sa force comme ses failles. Impérieuse, sa voix lorsqu'elle s'élève claque avec la certitude de devoir être entendue. Elle n'a pas beaucoup d'assurances, elle qui navigue sur la trame toujours en mouvement du temps, mais elle en possède une : sa voix et sa vue doivent porter. Ses prophéties doivent échapper à l'oubli. Alors Boti exige qu'on l'entende, ordonne qu'on l'écoute.
Si elle commande, l'augure néanmoins, comme nombre des siens, ne sait guère plier l'échine. Elle dispense son respect à qui sait le mériter et glisse entre les mailles de l'autorité. Dans les traditions et les lois des gitans, elle voit une façon de vivre plus que des chaînes, une part de son être plus qu'une laisse - car de joug, Boti n'en accepte guère. Son devoir est envers les siens, son honneur dans leur protection. Au reste des lois qu'on prétend lui imposer, elle présente un flanc trop frêle sur lequel glissent les contraintes comme de l'eau sur le plumage d'un cygne. Au Diable les étrangers à son microcosme, leurs attentes et leurs prétentions. Ils sont à ses yeux d'un monde différent, aussi distants que les spectres et sans plus de prise sur sa réalité.
Faute d'orgueil ou de désintérêt, pourtant, la voyante oublie trop souvent qu'elle est plus qu'un esprit chevauchant le temps et que d'aucuns pourraient venger un affront d'insubordination sur un corps qui n'est jamais plus que chair et sang. Cette peur-là lui demeure étrangère, comme si Gallo seul en portait le fardeau - avec ses poings abîmés à force de lutter et ses lèvres souvent ensanglantées. Il saigne pour eux deux quand elle s'épuise pour deux.
Alors non, Boti, ne craint pas qu'on verse son sang. Ses peurs à elle sont pour autrui - pour ceux qu'elle aime, pour ceux qu'elle connait, puis pour ceux qu'elle ne connait qu'à peine et n'aime que tout juste. Elle craint de les oublier, de les manquer dans sa scrutation effrénée d'un temps qui refuse de se laisser lire et domestiquer. Elle a peur de les abandonner à l'insu de leur plein gré, tous autant qu'ils soient. Alors, l'égide dont elle est porteuse pèse lourd sur ses épaules et ronge son port d'impératrice. L'ironie lui apparait dans toute sa cruauté : elle voit les avenirs les plus sombres, les auras les plus dangereuses et les morts les plus terribles - et pourtant ses cauchemars s'ils se concrétisent seront d'une banalité tragique, de ces petits drames qu'on ne met pas dans les journaux parce qu'il en survient trop et trop souvent et qu'on ne conte pas tous les proches perdus dans l'ordinaire de la vieillesse ou d'un accident. Et à cette pensée, sous l'apparat de sa fonction, l'humanité de l'augure rejaillit soudain en angoisses mordantes.
✤ Occupations, manies, habitudes & goûts
Boti dort beaucoup et un peu partout. Elle s'écroule là où ses forces l'abandonnent, belle au bois dormant piquée par les épines de ses augures plus que par la pointe d'un rouet. Elle dort d'un sommeil de plomb incongru et entêté.
Elle erre régulièrement, parce que ses visions ne sont pas géolocalisées. Elle regarde les bâtiments et les gens sous tous les angles, entasse dans sa mémoire tous les détails, des plus évidents au plus bénins, des plus concrets au plus symboliques - au cas où ils viendraient hanter ses prophéties. Elle erre d'autant plus que le temps se même et s'emmêle dans son esprit pas vraiment enchaîné au présent.
Elle aime les talismans chargés de magie ou pas, les babioles, les amulettes - ces petits riens qu'on porte autour du cou ou du poignet pour éloigner le malheur. Elle promène sur sa personne des tas d'anneaux, comme pour la lester, comme de crainte de s'envoler - des éclats d'argent aux oreilles, aux doigts, parfois au nez comme autant de petites lunes contre sa chevelure de nuit.
La demoiselle aime nager - mais de nuit, quand toutes les étoiles du ciel viennent flotter autour d'elle. Elle trouve entre les astres qui surnagent une sérénité que le jour n'atteint jamais.
Elle s'affuble parfois des fringues de son frère - des hardes trop larges qui font autour d'elle des étendards étranges, qui ont l'odeur de la maison. Le tissu coule sur ses épaules, les cols trop larges révélant des éclats de clavicule mais l'augure n'en a cure.
✤ Capacité
Prophète, elle a su qu'elle l'était avant même que ne viennent les premières visions. Pas par une intuition d'augure mais parce que c'est le destin des femmes Hoffmann - leur don et leur poison. Elle le savait, mais le pouvoir l'a quand même perdue - envoyé valser entre les vivants et les morts, le futur et le passé, au sein de toutes ces destinées entrelacées. Y'en a qui ont un pied dans la tombe. Boti, elle a un pied dans le monde des vivants et l'autre quelque part au croisement des temps. Sans les gitans, sans sa famille de coeur comme de sang, elle serait peut-être perdue, la tzigane. Au lieu de quoi elle ne vit que pour les siens et, ironiquement, qu'à demi avec eux, convaincue qu'elle est de n'avoir d'autre destin qu'être calice de la malédiction-don de sa famille, de cette égide qu'on se transmet de mère en fille.
Elle est celle qui voit. Et voir, ça veut dire pouvoir - pouvoir prévenir les siens quand des auras néfastes auréolent des gueules d'anges, pouvoir se dresser sur le chemin d'un choix fâcheux futur, pouvoir parler aux esprits des morts pour sauver les vivants. Du moins, c'était censé être le cas. Mais elle ne choisit pas ce qu'elle voit, l'augure, quand le pouvoir s'empare de ses prunelles noires comme un gouffre et de ses lèvres. Et ce qu'elle voit, elle peine à le traduire dans une langue mortelle, quand les symboles se mêlent aux visions si nettes qu'on les jurerait gravées au vitriol dans ses souvenirs. Il faut lutter pour garder les avertissements et trouver les mots. Il faut lutter pour garder pied quand le temps se déroule et se dérobe, pour se souvenir d'où elle est et de qui elle est. Et cette lutte-là, elle la perd un peu, la gypsy, quand elle se persuade, à force de n'être que de passage dans le présent de ses contemporains, qu'elle n'a d'autre destin que de préserver les siens.
Parce que Boti, quand le pouvoir est venu, elle l'a accueilli à bras ouverts et oublieux. Pour le camp. Pour son clan. Pour son sang.
✤ Spécificités
Epiléptique est l'étiquette que les docteurs lui ont collé au front. Comme pour se venger de rester à la traine de son esprit qui navigue le long de sentiers inhumains, son corps souvent laissé pour compte convulse et s'écroule. Le mal est mineur mais impressionnant. Il irait mieux si elle se médicamentait mais, à force de soucis futurs, elle oublie trop souvent de prendre les pilules colorées qu'on lui prescrit.
✤ Convictions
Il y a un monde sous le monde et ce n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, depuis la première fois depuis bien longtemps, c'est que l'humanité réalise que ce monde sous le monde est plus qu'un ramassis de superstitions - qu'il y a en son sein des mères-grands qui ont des dents si longues et des loups qui semblent si humains à la lumière du jour. La leçon de ce siècle, c'est que si les croquemitaines ne se cachent pas dans les placards, c'est bien parce qu'ils ont pignon sur rue.
Aux yeux de la gypsy, la Révélation a donné une voix aux drames muets. Les étrangetés qui hantaient jusqu'alors les rumeurs et les superstitions s'étalent en lettres capitales dans les unes de journaux. Les cartes sont révélées et les dés jetés. Peut-être le combat s'en trouve-t-il même équilibré : les malfaisants, quels qu'ils soient, doivent jouer à visage découvert. Les plus fragiles ont enfin les armes pour lutter - des sprays au nitrate d'argent, des balles de tous les métaux appropriés.
Pour autant, la prophétesse a ses réserves - et la première d'entre elle vise cette loi qui a la prétention de les recenser, de les ficher, de les étiqueter. Elle répugne à cette abdication de son anonymat sur le principe, un peu, et parce qu'elle est Hoffmann, surtout. Sa lignée germanique sait mieux que toute autre à quel point dégénèrent vite les recensements de tout être jugé différent. Alors qu'ils aillent au Diable, ces législateurs et ces flics drapés d'intentions fumeuses, avec leurs lois qui sentent le souffre.
✤ Signes particuliers
Son épiderme de fille frêle porte des marques à ne plus savoir quoi en faire. Les bleus y bourgeonnent quand elle crise et chute en aveux muets - car si ses luttes sont moins belliqueuses que celles de son frère, elles apposent leur sceau néanmoins. Les tatouages y fleurissent également à tout va - des protections et des prières muettes, parce que de mots elle n'est guère prodigue, des boucliers pour la protéger des dangers sur les routes des morts et des vivants, des rappels, peut-être, en reflets de ceux de son père de coeur.
On voit venir ses crises et ses augures, quand ses prunelles se font noires comme l'abysse et engloutissent la couleur de ses iris.