Octobre 1943

J’ai de la peine à me souvenir, c’est tellement loin et je ne suis même pas certain que je veuille m’en rappeler. Django et moi, on avait une dizaine d’année, lui un peu moins, moi un peu plus, peu importe. Personne ne les a vu venir, personne ne les a entendu se faufiler dans le camp. Je ne sais même pas pourquoi ils ont fait ça. On n’embêtait personne, on ne faisait pas partie du conflit. Ils sont venus et ils ont tout détruit. Les ordres fusaient dans tous les recoins du campement, puis il y a eu le feu, dévastant tout sur son passage. Les Anciens du Pard n’ont pas eu le temps de se métamorphoser, ils ont brûlé vifs. Les hommes en âge de se battre ont été capturés et mis en cage pour les égorger plus aisément, ils ont abusé de nos mères avant de les tuer froidement. Les enfants ont été noyés dans la rivière où l’eau s’écoulait que difficilement entre les glaces, comme on noie des chatons d’une portée trop nombreuse.

J’ai tiré Django hors de son lit, par une trappe située sous la roulotte. A pieds nus, nous nous sommes enfuis dans la neige, avec pour seuls vêtements une chemise en coton et un pantalon en toile rêche. J’ai forcé mon frère à marcher sans se retourner, seuls les cris d’agonies pouvaient marquer son esprit, je lui ai épargné les images.


1944 - 1945

On nous a pris pour des jumeaux, c’est grâce à ça qu’on a pas été tué, je crois. On nous a parqué dans des cabanes en bois, avec d’autres gamins, tous des jumeaux. Ils nous nourrissaient quand ils y pensaient. C’est durant cette période qu’on a appris à l’allemand, langue que je hais aujourd’hui. Mengele s’était montré sympathique au début, puis il a commencé ses expériences. Il s’est vite rendu compte qu’on était pas comme les autres, à la première prise de sang. Dès lors, les sévices ont commencé. Nous avons été parqué dans un bâtiment spécial, où la fuite était impossible. Il était fasciné par sa découverte… normal. Au début, il a commencé par entailler notre peau et mesurait le temps que nos blessures mettaient pour guérir. Puis il s’est attaqué à nos os, nous brisant d’abord un doigt, un bras, une jambe terminant par des fractures plus importantes comme le bassin ou les articulations.

Les nuits de pleine lune, nous étions enfermés dans des cages si étroites que nous pouvions à peine nous mettre sur nos quatre pattes. Ce salaud a fini par nous séparé et je n’avais plus que les cris désespérés de Django qui m’accompagnaient. Je tentais par tous les moyens de le calmer par des paroles apaisantes, mais rien n’y faisait. J’ai même souhaité, à une époque, qu’il nous achève.

La guerre a pris fin et nous avons été libérés, mais une fois de plus, nous nous sommes enfuis dans la pagaille des mitraillettes. Depuis cette époque, nous ne supportons plus l’enfermement.


Dans les années 50

On a grandi, on a erré, on a traversé des frontières illégalement jusqu’au moment où on s’est fait pincé. On s’en est sorti par une pirouette mais cela nous a fait réfléchir. On s’est réfugié dans une grande ville, fait connaissance de personnes très intéressantes et depuis, on a chacun plusieurs passeports avec diverses nationalités.

On s’est embarqué sur un cargo qui partait pour le nouveau monde. Merveilleux ! On allait avoir, nous aussi notre rêve américain. La traversée fut assez confortable, même si on restait à fond de calle. La nuit, on sortait sur le pont pour regarder les étoiles. Quand on était sûr d’être seul, je jouais quelques airs du pays sur mon vieux violon. Après sept jours, on est arrivé à New-York !

Adolescent dans le paraître, le monde nous appartenait. C’est à partir de là que nous avons commencé véritablement à vivre. J’ai vite compris comment faire pour remplir notre bourse et pour se payer du bon temps. C’est dans ces années que j’ai commencé à dealer, que nous avons débuté à entrer dans des Full Moon Fight. Y’avait que Django qui se battait, puis j’y ai pris goût aussi. Sans compter qu’on bouffe à l’œil et qu’on se marre bien.


De nos jours

23h38, Dallas. Demain c’est la pleine lune. On est toujours un peu plus susceptible le jour d’avant. On est descendu à downtown, histoire de prendre la température. Demain, on a envie de croquer du vampire. C’est rare, mais ça nous arrive parfois. On repère les lieux, on teste la communauté et on fait un topo de la situation.

On tombe sur un individu isolé et on joue les voyeurs. Depuis la Révélation, on use et abuse de ce stratagème. En plus, le sang-froid est jeune, il est stupide et beaucoup trop naïf. Un con fini quoi. Je m’approche de lui et je sors mon appareil photo que je braque sur lui.

- Ca vous dérange pas j’espère ?
- Non non, je vous en prie. Mais je ne sais pas si je vais apparaître sur les photos.
- Z’êtes tout seul ?
- Nous ne sommes pas nombreux à vivre ici, vous voulez que je vous présente mes amis ? En contre partie, vous m'offrez quelques gorgées de votre sang.

Vache, j’ai jamais vu un boulet aussi profond que ça. Je lui souris et je fais oui de la tête en ajoutant même de l’excitation dans mon regard.

- Par contre, là je dois y aller, on se retrouve demain soir ? Venez avec deux ou trois amis.
- Oh, de toute façon on est seulement trois. Mais ne vous attendez pas à des miracles ou des tours de passe-passe, nous sommes une très jeune communauté.

Dommage, ça sera trop facile… mais pas grave, ça nous occupera pendant une petite partie de la soirée. On verra ce que Django a trouvé de son côté.

- Non non mais je suis tellement fasciné par votre existence que voilà, vous comprenez, n’est-ce pas ?
- Pas de soucis. Je vous dit à demain.

Ouais, c’est vraiment un connard fini. En plus, il use de sa célérité pour m’en mettre plein la vue. Je ne peux m’empêcher de sourire. Rira bien qui rira le dernier.

Ce fut une soirée divine, un massacre mené à la perfection. L’extermination de vampire n’étant pas très bien vue, on file vers l’est. Il paraît qu’il y a un bel essaim de vampire et de cabot vers Shreveport.

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