Mes doigts s’enfoncèrent dans la terre, tandis que je sentais les larmes glisser sur la peau de mes joues, y tracer de mornes sillons de sel s’y incrustant à l’ombre d’un soleil crépusculaire qui se voulait frondeur dans la douleur de cet instant. Mes ongles s’encrassaient d’un noir obséquieux et morbide. Et mon cœur que je sentais battre dans ma poitrine au point de vouloir s’en arracher, s’en extraire pour retourner à l’être à qui il appartenait vraiment. Elvia gisait sous ce sol où l’herbe commencerait à repousser, son corps éteint, sans vie, au teint grisâtre et sans âme… Et je remerciais, ou détestait le ciel, de n’avoir pas le don de l’extraire de sa misère, de n’être qu’une simple sorcière incapable de l’extirper à son tombeau de terre… elle… ma jumelle… celle au visage si semblable au mien, mais aux talents parfois si différents.

Retirant mes mains de la terre, j’arrachai la dague qui se trouvait à ma taille, comme s’il s’agissait de mon dernier recours, et cela l’était en quelque sorte. L’oppressante sensation d’avoir perdu une part de moi-même, quand je commençais à entailler la paume de ma main… Je savais que les nécromants agissaient ainsi, certains du moins, mais je n’avais pas ce talent, non. Par contre, je pouvais… mais une main enserra mon poignet tel un étau impossible à briser, me laissant lever les yeux sur mon mentor, mon oncle, celui qui nous avait élevées depuis que nous étions petites, celui qui nous avait confié l’héritage de notre famille, qui nous apprenait les sorts et les rituels, il avait compris bien avant que mon sang ne s’évade de ma peau, que j’aurais tout sacrifié aux ténèbres pour la voir revenir auprès de moi, qu’on l’arrache à cette terre amère qui me repoussait de toutes ses forces.

Et ce fut d’un geste sûr qu’il m’attira contre lui, sans que je n’eusse la possibilité de m’esquiver sous la puissance de ses bras, et les sanglots, ténèbres dévorantes que je sentais se repaître de mon être avec indolence, me submergèrent sans que je ne parvienne à les rejeter. Les épaules secouées par ma tristesse, je ne savais plus que pleurer, inlassablement, comme l’océan s’échouait de mon regard pour envahir le monde, assouvir sa terrible vengeance d’un déluge. Mais ce n’était que ma peine, que l’horreur d’avoir perdu une parcelle de moi-même, ma force, ma vie…

« Ce serait idiot de faire ça… et elle ne le voudrait pas. » l’entendis-je me souffler d’un timbre apaisant, désireux qu’il était de me calmer. Mais déjà je le repoussais sans qu’il n’arrête mon geste…
« Qu’est-ce que tu en sais ?! Pourquoi ne voudrait-elle pas être là !?
- Parce que ce ne serait pas vraiment elle… crois-tu vraiment qu’un démon exaucerait un souhait aussi étrange ? Crois-tu qu’il parviendrait à enchaîner son âme à son cadavre ?! N’as-tu donc rien appris de ce que je t’ai enseigné Anita ?! Même les nécromants ne parviennent pas à ramener une âme intacte ! Laisse-là donc reposer en paix auprès du dieu et de la déesse au lieu de penser telle une égoïste !
- Je te déteste… » soufflais-je alors, la haine envahissant mon cœur…
« Alors déteste-moi de t’empêcher de briser ta vie !
- Crois-tu que tu seras toujours là ?
- Crois-tu que je vais te laisser partir ? »

Nous nous sommes affrontés du regard, tandis que je savais avec trop d’âpreté qu’il pouvait m’en empêcher, et que d’une manière ou d’une autre, il avait raison, Elvia m’aurait hait de faire appel à un démon pour tenter de la faire revenir d’entre les morts. Son heure s’était présentée… et elle aurait voulu que je continue à vivre, pour nous deux, sans chercher à l’extirper de son trépas. Alors pourquoi ? Parce que je ne pouvais juste… m’y résoudre. Comment pouvais-je laisser partir ma sœur ? Comment ?

Mon sac était là, si proche et à la fois si loin de mon être, contenant tout ce dont j'avais besoin, inutile de prétendre que je n'avais rien prémédité, que je n'avais pas pressenti le besoin risible de faire appel à d'autres forces, mais…

692 mots.

[…]

Le temps s’était exilé, vagabond et terrible en un sens, m’obligeant à dire adieu à celle qui vivrait toujours à travers moi.

U.C