Nevenka Eamon (en cours)

Traits de caractères

Parfois tu as cette impression légitime de n'être qu'un objet qu'on peut utiliser à sa guise sans la moindre éthique, telle une fleur dont on arrache les pétales une par une. Tu espères au plus profond de toi que chaque main qui a coulé sur ta peau ait été empoisonnée de la pire manière. Pourtant tu n'oserais jamais briser le silence pour laisser ses mots brûler tes lèvres. Hélas c'est une audace que tu ne peux te permettre. Tu es piégée comme un animal en cage, condamnée à vivre cette existence morbide. C'est certainement ce qui explique la froideur glaciale que tu abordes naturellement, laissant croire que tu es inatteignable. Cette image donne envie aux hommes de t'atteindre, de réussir là où tous les autres ont échoué. Certaines filles du bordel pensent même qu'on t'a arraché le cœur. Ces rumeurs qu'on murmure dans ton dos ont tendance à t'agacer mais tu ne peux reprocher à ces agneaux égarés de chercher un moyen d'oublier leur peine. Elles te rappellent l'innocence que tu as perdue, cette pureté que tu ne retrouveras jamais. Tu espères toujours qu'elles s'en sortiront tandis que tu as perdu tout espoir dans ton cas. Tu sais pertinemment que ton âme s'est égarée dans la chute et qu'il ait inutile de vouloir un jour la récupérer; pas même en lambeaux. Tu ne cherches pas à savoir comment aurait été ta vie si tu avais fait des choix différents parce que tu refuses de te noyer dans les regrets. C'est fou de constater à quel point tu peux paraître dénuée du moindre sentiment humain alors qu'en réalité ta sensibilité a raison de ta douceur. Tu ne commets jamais un geste brusque ou violent, tu es aussi délicate que le vent du printemps qui annonce la renaissance. Tu pourrais presque sembler vulnérable si on ignorait la force dont tu fais preuve pour survivre depuis tellement de temps dans les bordels. C'est comme si ton corps refusait de tomber à terre alors que ton esprit souhaite plus que tout mourir. Juste mourir. Tu as souvent pensé que c'était lâche de te suicider et d'une certaine manière de leur prouver que tu ne vaux rien, mais cette idée hante tes pensées à tel point que tu te surprends à imaginer toutes les façons qu'il existe de disparaître.

Parfois tu as cette impression légitime d'avoir plus de valeur à leurs yeux que leur propre vie, comme si tu étais leur dernier souffle. Tu peux voir dans ces grands iris enflammés, le désir ardent qu'ils éprouvent à ton égard. Ils sont si fragiles quand tu les détiens dans tes filets que tu pourrais les briser d'un simple claquement de main. Alors leurs doigts se casseraient un par un avant que leurs bras ne se déchirent lentement pour qu'ils sentent la douleur insupportable de leur peau, leurs os et leurs tendons se couper. Alors leurs jambes se fractureraient en crescendo, leur pénis s'infecterait et pourrirait de l'intérieur jusqu'à ce qu'il tombe. Alors leurs intestins se noueraient pour sortir par leur bouche écœurante en même temps que leurs yeux, ces yeux pervers, seraient dévorés par des vers. Et chaque fois qu'ils seraient morts, un autre subirait ce sort. C'est la conception de ta justice, tu ne penses pas qu'ils méritent mieux que cette fin. Tu as appris au fil des années à devenir sadique même si tu ne le montres pas. Tu ignores combien ils payent mais tu sais que ton nouveau maître a eu besoin davantage que d'argent pour t'avoir, tu ne doutes pas que ton acquisition fut chère. Mais honnêtement combien vaut une vie humaine ? Certainement très peu puisqu'on peut l'acheter. Cependant tout le monde n'a pas les moyens d'obtenir les services d'une putain de calice, il faut vraiment te vouloir pour être prêt à donner autant pour t'avoir. Est-ce ta froideur qui attire autant ? Beaucoup de clients aiment entendre les cris de leurs victimes, à croire que certains sont persuadés d'arriver un jour à t'en arracher un. Autrefois peut-être, aujourd'hui tu intériorises tellement la souffrance que tu ne trouverais même pas les mots pour l'exprimer. Non pas que ton vocabulaire soit pauvre en matière, au contraire et ce malgré les apparences. Tu n'as pas eu la chance d'embraser une carrière réputée mais tu conserves la richesse de tes connaissances à l'abri des regards indiscrets. Malheureusement tu ne peux les partager qu'avec ton propre reflet dans le miroir, ce reflet que tu aimerais parfois abîmer pour voir ce qui se passerait un instant si tu n'étais pas dotée de ce charme printanier ...

Occupation nocturne

Tu n'existes plus lorsque le soleil se lève comme ces êtres abominables qui craignent la lumière du jour, tu tombes dans une intense léthargie semblable au sommeil. Tu abaisses tes paupières à mesure que l'aube se dévoile et tu espères secrètement que tu ne te réveilleras jamais. Tu voudrais mourir durant cette torpeur pour ne plus rien ressentir si ce n'est la vie te quitter. Mais tout ce que tu récoltes ce sont d'affreux cauchemars qui te hantent, te rappelant que même dans tes songes les plus profonds tu n'as pas le droit d'être en paix. Il est rare que tu t'éveilles paisiblement car tu as pris l'habitude de t'extirper de cet état inconscient avec peur. Peur de quoi ? De qui ? Tu es incapable de te rappeler de ce qui te terrifie chaque fois, comme si ton esprit le supprimait sans cesse. Tu commences à réapparaître quand le soleil disparaît peu à peu, laissant l'obscurité prendre la place qui lui appartient en ce bas monde. Tu te prépares à affronter la nuit qui approche à grands pas, cette routine que tu connais par cœur. Parmi tous les accessoires dont tu disposes, ce sont les perruques qui t'attirent le plus: blonde, brune, rousse, ce ne sont pas les couleurs qui manquent à l'appel. Tu changes si souvent qu'il t'arrive d'oublier à quoi tu ressembles sans ces artifices qui te modèlent à l'image de leurs fantasmes. Mais tu aimes cette idée, cette perspective d'être quelqu'un d'autre, c'est une façon de trouver un équilibre en ce chaos. Peu de gens te connaissent sous ta vraie apparence car il est rare que tu la dévoiles en présence d'un autre. Tu aimes garder cela secret, c'est la seule chose qui t'appartient alors tu mets tout en œuvre pour ne pas la partager. C’est ce que tu as de plus intime, ce qui te reste malgré tout ce que tu as perdu. Les clients n'en veulent pas, ils désirent seulement passer sur ton corps pour répondre à leurs pulsions les plus anarchistes. C’est un refrain que tu peux chanter aisément mais tu ne t'es pas encore habituée à ta nouvelle situation de calice. Tu as du mal avec les vampires qui se ruent sur toi dans un tout autre but sanguinaire. Cette sensation que tu ressens quand ils aspirent ton sang, c'est tellement étrange que tu n'arrives pas à savoir réellement ce que ça remue en toi. Tu crains de ne découvrir qu'en réalité tu pourrais apprécier ça. Est-ce que tu perds la tête ? Tu commences à te rendre compte de l'ampleur de ton choix et des conséquences qu'il a. Tu as remarqué que ta peau est devenue plus pâle comme si tu étais malade, infectée par un virus. Et cette fatigue qui te pèse, qui t'assomme, tu le sens tu perds en force. Est-ce que tu vas finalement réussir à mourir ? Il semble que tant que tu auras la force de soulever tes paupières, tu seras vivante ...

Manies, habitudes & goûts

Quand tu rentres chez toi avant l'aurore, tu ne peux te retenir d'ouvrir un livre. Tu en cherches un parmi le désordre qui règne dans ton appartement, n'ayant pas d'étagère sur lesquels les entreposer. En réalité tu ne possèdes pratiquement pas de meuble, tu n'as même pas de lit car tu détestes dormir dedans. Tu préfères largement te laisser gagner par la fatigue dans ta baignoire, recroquevillée sur toi pour te protéger de tous les fléaux qui pourraient t'atteindre dans l'espoir de ne laisser passer entre tes filets que les étincelles bleutées des rêves. Tu t'endors généralement avec un livre dans les bras car c'est la seule façon que tu as trouvé de t'apaiser. Tu as toujours aimé la littérature et la poésie, elles possèdent ce quelque chose qui les rend inégalables et qui te donnent l'illusion d'être ailleurs, d'être quelqu'un d'autre. Tu connais la plupart de tes ouvrages par cœur car tu n'as pas eu l'occasion d'en acheter de nouveau depuis de nombreuses années. Tu n'oses plus, comme si c'était interdit. Tu ne joues plus aux échecs non plus alors que tu as toujours adoré ce jeu. Tu t'interdis des choses qui te plaisent parce que tu penses que tu ne les mérites pas, il y aurait tant de domaines dans lesquels tu excellerais que tu n'as pas l'audace de tenter. Pourquoi les tenter ? Tu ne pourras jamais en vivre, et quand même tu y parviendrais ... tu ne seras jamais libre ...

Convictions

Cette question est-elle vraiment nécessaire ? Tu imagines que pour certaines espèces, la révélation a été une bénédiction, pour d'autres une malédiction. Pour toi il n'y a absolument aucun changement important. Le monde n'est pas devenu plus fascinant ni plus dangereux. Les gens continuent de naître et de mourir, peu importe la façon dont ça se passe. Tu es persuadée que ta vie avant la révélation n'était guère différente d'après, comme si cette nouvelle ne t'avait pas affecté. En réalité ton monde à toi ne s'est pas retrouvé chamboulé, il y a eu des adaptations à faire mais n'est-ce pas le propre de l'être humain que de s'adapter ? Tu n'as pas plus peur d'un vampire que de ton proxénète parce que chaque être qui habite cette terre porte en lui le sceau du mal.