? Traits de caractères

Orpheline sans nom. Sans repères. Repêchée par la main de Dieu et offerte en pâture à ces vautours du clergé. Inconnue. Absoute de tout pseudonyme. Vierge et immaculée de la tête aux pieds. Tu aurais pu être Jane Doe. Il est vrai. Mais l’Eglise savait. Que tu n’étais autre que le fruit corrompu qui a causé la chute du Paradis. Que tu n’étais autre que le serpent d’Eden glissé sous une couverture angélique. Que tu n’aurais pas dû être, mais que la loi est ainsi faite.

Alors l’Eglise a accepté. Que tu sois adoptée par la volonté aimante d’une femme au bord du gouffre. Que tu portes en ton sein les valeurs fondamentales de la religion catholique. Que tu quémandes le pardon au Seigneur à chaque instant de ta misérable existence.
Mais le monde se doit de savoir. Que tu es le péché. Que tu es la luxure. Que tu es l’interdit repenti. Que tu es l’œuvre ultime d’un Dieu miséricordieux.

Car tu n’es pas femme ; tu es catin.
Car tu n’es pas Jérusalem ; tu es Egypte.
Car jamais tu ne seras Jane ; toujours tu as été Jezabel.

? Occupations

Tu passes tes nuits dans le sillage de Pia. A suivre ses moindres faits et gestes. Toujours dans l'ombre. Toujours dans le silence. Tu ne demandes rien. Tu n'attends pas plus qu'un peu d'attention à ton égard. Lorsqu'elle pose, enfin, son regard sur toi; tu n'es autre qu'à son entière disposition. Elle est la lumière. Elle est la voie.

Quand il lui arrive de te congédier, quelque chose meurt en toi. Son rejet ne trouve autre cause que dans ton comportement déplacé. Alors tu cherches. Alors tu rumines. Tu consultes la Bible en prie en silence en te balançant d'avant en arrière, d'arrière en avant. Tu visites les églises. Tu t'enfermes dans le confessionnal. Du bout des doigts tu viens effleurer la pierre froide de l'autel aux pieds du fils de Dieu. Tu reportes ton attention vers le haut. Tu en attraperais presque les larmes aux yeux. Qu'il est beau ce Christ déchu qui porte la couronne de son trépas. Etait-il comme toi pour mériter une telle punition? Même si elle doit savoir, tu n'oses poser la question à Pia. Ce serait remettre en cause son avènement. Quand le temps sera venu, elle t'expliquera.
Quand le temps sera venu, elle t'expiera.

Alors tu attends. Mais toujours en silence. Lorsqu'elle dort, tu assures la garde aux portes de ses appartements. Tu ne dors pas, ou du moins très peu. Tu es alerte. Ton regard part de gauche à droite, de droite à gauche. Chaque bruit t'apparait comme suspect. Chaque murmure telle une intrusion. Tu es aux aguets. Personne ne peut l'approcher sans son approbation. Rien que par ton regard, tu inspires la peur. On devine ta démence. Tu ne cherches pas à comprendre. Tu fais. Tu exécutes.

Parfois, il est vrai, il t'arrive de pousser la porte de ses appartements. Parfois, il est vrai, tu oses franchir les limites du tangible. Toujours en silence, tu te glisses à l'intérieur. Tu peux ainsi l'observer pendant des heures. Sans bouger. Osant à peine respirer. Tu crains qu'elle se réveille autant qu'elle ne s'évapore. Alors tu vérifies. Alors tu cesses de respirer.

Tu aimerais la toucher. Tu aimerais t'en assurer. Qu'elle est bien là. Tout juste devant toi. Tes doigts se tentent vers elle. Ta main tremble. A aucun instant tu ne viens ne serait-ce qu'à l'effleurer. Tu ne fais que rêver.

Lorsqu'elle t'autorise enfin à dormir, tu te roules en boule à ses pieds. Et tu t'endors en souriant. Et tu rêves, que tout ceci puisse à jamais s'éterniser.

? Manies, habitudes & goûts

Tu aimes:

• Pia. C'est le premier mot qui te vient à l'esprit. Peut-être as-tu néanmoins été trop présomptueuse? Tu ne peux empêcher ta tête de baisser dans tes épaules. Tu te fais plus petite. Plus discrète. Du regard tu viens lentement chercher son approbation. Oui, elle hoche du menton. Oui elle te sourit. Tu cesses de te recroqueviller. Cela ne fait pas bonne figure. Prochaine fois elle sera peut-être moins conciliante à ton égard.
  
• La Bible. Celle-là même que tu sers si fort contre ton torse qu'elle manque de t'étouffer. Celle-là même qui t'empêche de dormir si jamais sa vieille relire en cuir atrophié ne te sert point d'oreiller. Celle qui te murmure des choses la nuit. Celle qui te punie d'avoir des pensées impures de la journée. La Bible est ton tout. Ton soutien. Ton guide. Ton père. Ton bourreau. La Bible c'est la vie!
  
• La pluie. Elle t'emmène. Elle t'emporte. Ce sont là les larmes de Dieu qui lave l'humanité de son perpétuel péché. Tu ne peux t'empêcher de sourire quand elle apparait. Tu es comme guidée par une force invisible qui t'oblige à sortir. Qui t'oblige à te dévêtir. Tu tournes autour de toi-même telle une droguée en transe. L'espace d'un instant tu oublies tout. Dieu te regarde. Et toi ... toi tu lui souris.
  
• Le chocolat. C'est amer. Ça pique sur la langue. Malgré tout ça fait naître en toi l'envie ... et pas seulement dans ta bouche.
  
• Les animaux. C'est beau. C'est doux. Ça mord moins fort que toi. C'est bon. Ou du moins: pas trop mauvais. Tu as bien dû apprendre à les attraper vu le peu de valeur nutritive que te procurent les flocons d'avoine, le lait écrémé et le corned beef.
  

Tu n'aimes pas:

• Les autres. Tu ne les connais pas. Tu ne les as jamais vus. Alors pourquoi te regardent-ils ainsi? Alors pourquoi as-tu cette perpétuelle sensation de saleté dès qu'ils posent leur attention sur toi? Tu sais que tu leurs inspires le vice. Tu le sens. Tu le vies. Tu le veux. Tu LES veux. Alors tu t'en éloignes. Alors tu les méprises comme eux le font à ton égard. Non, tu ne les aimes pas.
  
• Ton corps. Il est fourbe. Il est traitre. Toi qui l'a porté depuis si longtemps sans jamais lui causer le moindre tort, voilà qu'il se montre contraire à tout ce que la Bible vous a appris! Il te fait ressentir des choses. Juste là, dans ton ventre. Entre tes cuisses. Plus haut encore, là où nul ne peut venir, mais où il te devient de plus en plus difficile de ne pas te toucher. Alors tu y glisses le cuir rigide sans lequel tu ne peux dormir. Alors tu chevauches le dos des paroles Sacrées. Silencieusement tu pleures ton blasphème car il est seul à pouvoir calmer un tant soit peu tes ardeurs.
  
• Les vêtements à boutons, à pression et à tirette. Tu n'en as porté que rarement alors forcément tu n'y comprends rien à leur mécanisme. Tu fais des nœuds. Tu déchires les tissus. Tu paniques rien qu'à l'idée que tu pourrais y rester enfermée. Pour Pia, tu es prête à faire quelques efforts vestimentaires. Mais tu n'aimes pas. Ça te gratte. Ça te pique. Tu tentes sans cesse de te déshabiller. On te tape sur les doigts. Tu te recroquevilles sur toi-même. Tout ceci n'est autre que la faute de cette fashion à laquelle tu ne trouves ni queue ni tête.
  

? Influence

Un jeu parmi tant d’autres. Un petit défi lancé à l’aveugle et pourtant accepté par les deux partis concernés. Voilà ce que tu es. Voilà ce que tu es vouée à être.

Que Lilith ait perverti ta mère ou que Scox l’ait corrompu de sa semence, le résultat en reste sensiblement pareil. Ton corps n’est autre que le pantin désarticulé de la première ; là où ton esprit se fait tourner en bourrique par le deuxième. Tu respires autant que tu transpires le vice. Bien malgré toi, tu attires la convoitise charnelle de l’autrui. Tu leur inspires des idées perverses. Tu viens titiller les limites de leur raison. Tu les fais douter. Tu les fais pencher.

Mais plus encore, tu sembles être un aimant à psychotiques. Autant l’humain béta peut ressentir une attirance non-feinte à ton égard ; autant les déviants penseurs ne pourront s’empêcher de te traquer. De te renifler. De te désirer. Tu es à leurs yeux telle une dépendance rendue femme. Tu es la personnification de la voix dans la tête des schizophrènes. Tu es l’autre moi dans le dédoublement d’une personnalité. Tu es le penchant opposé d’un maniaco-dépressif. Même les CESS les plus avérés ne peuvent se montrer insensibles à ta singularité.

Tu n’y peux rien. C’est ainsi que tu as été faite. C’est dans ce but que tu as été conçue. Celui d’amuser la galerie de princes et autres démons. Tu es divertissement. Et peu importe si tu en souffres, tant que tu combles ton public.


? Alchimie /

? Lien avec le vampire

Pia est ton tout. Pia est ton toi. C'est ton phare au beau milieu d'une mer déjantée qui gerbe sur toi tous les immondices d'une pollution égarée. Pia est ta lumière. Pia est ton guide. Pia est ta nouvelle Bible.

Elle est un don du ciel. Une réponse à tes milles et une prières que tu marmonnes même dans ton sommeil. Tu ne remets jamais en cause la moindre de ses décisions. Ce serait un péché autant qu'un blasphème. La trahison ultime. Celle-là même qui a amené Notre Père à bannir Lucifer du paradis blanc! Ce que Pia fait est ce qu'il y a lieu de faire. Si elle punit quelqu'un (que ce soit toi au autrui), c'est parce qu'il le mérite. Si elle veut quelque chose, elle l'obtient. Car c'est ainsi que les choses sont faites. Tu ne poses aucune question, cela n'est pas un droit qui t'es acquis. Tu te contentes d'obéir, comme la gentille petite fille que les apparences veulent que tu sois. Alors tu courbes le dos. Alors tu plies l'échine. Pia peut faire de toi ce que beau lui semble.

Tu es sa dévotion.
Tu es sa propagation.
Tu es sienne.

Ce qu'elle dit est parole d'évangile. Ce qu'elle fait n'est autre que guidé par la main de Dieu. Tu la regardes avec l'admiration d'un enfant devant les rois mages. Elle est surprise. Elle est inattendue. Elle est présent et futur. Elle efface le passé. Elle est ici. Elle est maintenant.

Elle est ton tout.
Elle est ta dépendance.
Elle est à toi!

? Convictions

Tu ne sais pas. Tu ne comprends rien. Depuis bien longtemps tu as cessé de chercher. Ta mère a pris soin de te couver dans un cocoon impénétrable. Tu ignores ce qui se passe dans le monde extérieur. Tu ne fais que le découvrir depuis peu.

Tu ne comprends pas ces gens qui te regardent. Tu ne conçois pas qu'ils puissent y en avoir d'autres tel que toi. Tu es un monstre. Tu es une abomination. Tu es le péché de gourmandise dont le diable a inséminé ton abdomen.

Depuis ta plus tendre enfance, ta mère a pris bien soin de t'endoctriner. De te rabaisser. De te dévaloriser. Tu es ce que Dieu a fait de toi. Tu mérites d'être ainsi. Les pensées obscènes qui habitent tes rêves et hantent tes cauchemars ont fait de toi ce que tu es. Tu n'es pas une créature du démon. Tu n'es rien de plus que son réceptacle.

Des autres tel que toi, il n'en existe qu'à travers le péché. Tout ceci n'est qu'une suite logique à ton impureté. A ton envie et ton besoin d'avoir plus que ce que le Seigneur a bien daigné t'offrir! Pia a été la première vampire à croiser ta route. Peut-être est-ce cela qui explique l'amour inconditionnel que tu lui voues. Elle est comme toi. A cette exception qu'elle a appris à vivre son péché. Qu'elle a appris à pardonner au Vieux Sage son indéniable grandeur.

La révélation? C'est un mot dont tu ignores quant à la définition. Avant il y avait le placard. Maintenant il y a Pia. Ta notion de la réalité s'arrête à cette simple équation.

? Signes particuliers

Tu es recouverte de cicatrices. Ton dos est celui qui a souffert le plus de ta condition démoniaque. Il est un cimetière de débris. Un champ de mine après le passage inhérent d'une horde d'enfants innocents. Malgré les exorcismes à répétition, malgré les prières incessants à l'encontre d'un Dieu inintéressé, malgré les insultes et menaces à l'attention de son penchant diaboliques ... des protubérances ont commencé à pousser dans ton dos. Entre les omoplates. Tout le long de ta colonne vertébrale. Jusqu'à la courbure de tes hanches osseuses. Elles ont été charcutées. Elles ont été brûlées. Tout a disparu. Mais la paranoïa est vicieuse autant que hargneuse. Et afin d'éviter toute potentielle future souillure mère a déchiré davantage. Mère a creusé plus loin, plus profond, plus fort. On t'a arraché ces protubérances à la seule force d'une volonté religieuse. On t'a ouvert les omoplates. On t'a purifié à l'acide. Désormais ton dos porte en soi les stigmates d'un fanatisme hystérique.
Mais il n'y a pas que lui. Tes bras et tes cuisses sont recouverts de traces. Anciennes autant que récentes. Des nouvelles déchirures qui viennent recouvrir les plus anciennes cicatrices. Il te faut te punir pour chaque pensée obscène qui pourrait vouloir pervertir ton esprit. Jadis mère était seul juge de ton calvaire. Maintenant qu'elle n'est plus, tu as repris le flambeau. Tu te coupes. Tu te taillades. Mais jamais plus bas que le poignet. Et jamais en dessous du genou. Les gens ne doivent savoir. Les gens ne doivent jamais voir. Sauf Pia. Pia qui enduit ta peau meurtrie de ses crèmes et de son maquillage. Pia qui te rend belle. Pia qui te rend poupée. Pia dont les mains sont si douces sur ces blessures que tu es pourtant seule à mériter. Son contact t'apaise. Elle est seule à pouvoir tracer du bout des doigts les desseins de ta malédiction.

Le tu n’existe pas encore au début de ce conte maudit. Il n’y a pas plus de toi que de moi. Pas plus d’eux que de nous. Il y a une femme. Il y a une vocation. Il y a une voix silencieuse dans sa tête qui lui susurre des insanités, et qu’elle-même associera à la parole du Seigneur. Tout comme toi. Mais ne zappons pas les étapes, veux-tu.

Au début il y a un défi. Entre deux princes et leur perpétuel ennui. Alors ils se charrient. Alors ils se cherchent. Alors ils se trouvent. Les enjeux sont lancés. La convoitise est choisie au hasard. Dans un grand chapeau noir reprenant le nom de tous les couvents d’Europe. Puis de tous les saints habitants du futur lieu de débauche. Hasard ou coïncidence, je laisse Dieu seul juge de cette nuit de folie. Afin de ne pas (trop) choquer ton innocence, je me contenterai de rester flou quant aux détails des ébats amoureux échangés entre bonnes sœurs et hommes de foi. Amoureux n’étant peut-être pas le mot le plus adéquat, mais d’autres définitions pourraient te plonger dans une léthargie avérée.

Des cris, des déchirures et de la semence coulant à flot ; je ne laisserai que ton imagination à son comble. Est-il qu’une seule femme s’est retrouvée à en porter les conséquences. Celle qui entendait la voix de Dieu. Cette même voix qui lui dictait la foi. La route à suivre. Le chemin à mener. Je peux en toute sincérité te confirmer qu’elle t’a portée avec amour et dévotion. Qu’elle a balayé d’une simple réplique biblique toutes les mauvaises langues qui pouvaient colporter de tels mensonges quant à ta plus absolue conception. Déjà à l’époque tu étais l’enfant d’une prophétie. Le fruit d’une immaculée conception.

Jamais cette nuit n’a été abordée à voix haute. Jamais ton évolution n’y a été acculée. Du moins … jamais dans l’église. Jamais dans le couvent. Jamais en présence de cette femme qui se voyait déjà mère. Le père supérieur a tenté de l’en dissuader. A tenté de t’enterrer dans le passé. Mais la graine du mal est forte et la semence du diable tellement bien ancrée que ta mère n’y a vu que du feu. De la jalousie. De la convoitise. Dieu l’avait touchée et en ça, elle était unique.

Pendant neuf mois tu as été un charme. Un ange descendu du ciel avait posé ses mains sur le ventre plat d’une fervente croyante jusqu’à le remodeler en parfait petit ballon de baudruche. Il n’y a rien à ajouter pour cette époque. Oh certes, un attentat à sa vie. Echoué. Quelques intoxications alimentaires. Mais rien d’inhabituel quand on prend note du menu de la cantine. Un accident de la circulation. Mais avec pour unique conséquence un poignet plâtré.

Ce n’est qu’en janvier de l’année suivante que l’histoire devient intéressante. Que le « tu » est introduit à la notion du temps. Lorsque tu es née, tu ne pleurais pas. Ce que tu en entends en fond sonore, ce sont les hurlements stridents de ta mère lorsque tu la déchires de l’intérieur. Ce sont les larmes qui coulent abondamment le long de ses joues et inondent sa bouche. Ce sont les prières incessantes qu’elle voue à un Seigneur aveugle qui joue la sourde oreille.
Elle vivra pourtant tout juste assez longtemps que pour te prendre dans ses bras. Pour t’offrir l’unique sourire qui ornera encore son visage lors de ce passage éphémère dans la réalité telle toi tu le connais. Elle ne sait pas ce qui t’attend pas la suite. Sans quoi elle ne t’aurait jamais abandonné à ton triste tort. Sans quoi elle t’aurait emmené avec elle vers un monde meilleur.

Cela t’importe peu de le savoir. À l’époque tu étais innocente. De ceux bénis par les Dieux car, incapables de se rendre compte de ce qu’ils ratent, ils se content silencieusement de ce qu’ils ont. C’est ce que tu as fait. Lorsque les hommes de fois et les bonnes sœurs se sont agglutinés autour de toi et du cadavre de ta mère tel un troupeau de singes curieux. Lorsque tous ont refusé de te toucher sous prétexte que tu ne pouvais être que fruit du démon au vu des dégâts causés lors de ta naissance. Lorsqu’une inconnue a pourtant joué des mains et des coudes pour séparer les masses et ramper dans les entrailles d’une défunte pour venir t’en extirper.

Octavine n’a jamais été une mauvaise personne. Autant, si pas plus, adepte de la religion que ta mère ; les deux femmes s’étaient rencontrées lors d’une de ces nombreuses messes le dimanche matin voués à glorifier le Tout-Puissant pour sa clémence envers l’homme. Elle était seule à épauler ta mère dans l’aventure de sa grossesse. La seule à égayer un tant soit peu ces longs mois de confession silencieuse. Elle n’a jamais demandé. Elle n’a jamais jugé. Mais lorsque la mort a croisé ta route pour la première fois, elle aussi n’y a vu que le présage divin d’un vœu égoïste.
Incapable d’enfanter  à travers son propre corps meurtri par un passé qu’elle ne t’a jamais conté, elle a immédiatement accepté de signer ton acte de naissance. L’Eglise, bien trop heureuse de se débarrasser du fardeau que tu promettais de représenter, a accepté plus que volontiers cet acte d’altruisme absolu. En échange, il ne leur suffisait plus que de tolérer ta présence – et son omniprésence – à chaque messe célébrée au nom du Christ.

La suite de l’histoire tu la connais. De ton adoption à ce funeste jour de 2015, rien n’a changé. Tes journées se résumant à la prière et au confinement. Au début, certes, tu avais droit à une sortie accompagnée. Un tour dans le parc. Un repas au jardin. Mais jamais de visites. Jamais d’autres enfants. Tu étais sienne, au même degré qu’elle t’était dévouée de manière inconditionnelle. Tu ne voyais la lumière de l’extérieur que le jour du Seigneur. La femme que tu as appelé mère pendant plus de vingt ans voyait des complots à chaque coin de rue. La tentation de Satan à chaque occasion présentée. Afin de te préserver du péché, elle ne pouvait QUE t’enfermer. Il en allait de ton (futur) salut !  

Combien de fois ne te l’a-t-elle pas expliqué ? Combien de fois n’a-t-elle pas trouvé justification à ton confinement social autant que physique ? De par ta nature de femme, tu ne pouvais que porter à un avenir de tentation. Plus encore lorsque ton corps a commencé à changer. Quand, dans ton dos, le démon a commencé à se manifester. Ta mère n’y a jamais vu que l’éveil du malin. L’appel de Marie Madeleine. Alors tu as pu sortir plus souvent. Eglises, couvents, Lourdes. Tu les as tous fait ! Mais rien n’a changé et ta déchéance visuelle n’a fait qu’évoluer. Prêtres, diacres, exorcistes … tous ont foulé de leur pas divin le sol de ta chambre. Tous, de leurs instruments de torture, ont souillé tes draps de rivières carmines. Sans résultat autre que le champ de bataille qu’était devenu ton corps, il t’est devenu interdit de quitter la maison. Le monde extérieur ne vivait qu’à travers l’unique petite fenêtre couverte de poussière qui ornait un des murs de ta chambre. L’Eglise refusant d’associer son nom à ton obscure présence, ta mère a décidé de reprendre toute ton éducation à son propre compte. Si la montagne ne vient pas Mahomet, Dieu viendra à toi. Et il est venu. Matin, midi et soir. Dans tes rêves autant que tes cauchemars. Dans chacune de vos conversations, pour autant vous ayez pu en avoir autre que les récits désormais appris par cœur que relate la Bible.
Partout. Toujours. Tout le temps.
Dieu était là – à prétendre t’écouter.

Et puis, petit à petit, Il n’est plus venu. Ou tout du moins n’a-t-Il plus pris la peine de t’écouter. Malgré tes pleurs, malgré tes supplices ; ton corps a commencé à muer. Et des choses dont tu ne peux tout simplement parler ont commencé à s’énumérer. Tout d’abord ce picotement non pas désagréable le long de tes cuisses. Puis dans ton ventre. Pour finalement se terminer entre les deux. Là où le péché est roi et l’envie sa maîtrise.

Tu as tenté de lutter. Tu as tenté de cacher. Mais le Diable est fort et fourbe. Il se glisse dans tes rêves et use puis abuse de ton corps lorsque ton conscient n’est plus capable de le repousser. Le matin tu te réveilles en sueur. Ton entre-jambe moite et puis trempé. Alors tu touches. Doucement. Afin de vérifier que tu n’as pas été blessée. Une décharge violente te parcourt tout le corps et te renvoie dans les draps. Plus jamais tu ne recommenceras cela !

Mais autant l’esprit est l’instrument de Dieu, autant le corps et parjure du Diable. Il clame. Il crie. Il hurle. Douleur. Sueur. Tu te contorsionnes dans ta couche tandis que tes prières se veulent de moins en moins compréhensibles. Tandis que tu réprimes les larmes de couler car ce serait là céder au péché. Tu ne veux pas l’écouter ! Tu refuses de te déshonorer !
Mais là encore, la volonté est trop affaiblie que pour lutter. Et tu ne peux décemment aborder une telle honte avec cette femme qui se veut mère !

Vient une nuit où tu n’en peux plus. Où Dieu se montre indifférent à ton supplice. Où ta mère se veut sourde aux signes que tu montres depuis bien des mois déjà. Alors tu touches. Alors tu pleures. Alors tu tâtonnes. Alors tu attrapes un oreiller entre tes dents car tu sens que ton toucher prend le dessus sur ta raison. Alors tu pénètres. Alors tu gémis. Alors tu vas plus loin. Plus vite. Plus tout court. Et tu n’entends pas la porte qui s’ouvre. Pas plus que tu ne vois la silhouette toute de blanc vêtue qui pénètre ta chambre sans un bruit. Lorsque sa voix résonne, tu sursautes. Tu te fais petite. Tu tentes de te cacher sous les draps emplis de ta souillure infecte. Sa main arrache le tissu qui recouvre ta honte. Ses mots sont méchants. Ses mots sont vérités. Elle te traite de tous les noms que la Bible a fermement condamnés. Elle associe ton nom à la seule réalité que tu mérites. Tu te recroquevilles sur toi-même. Elle continue d’insister. Elle te frappe. Elle te met des coups de pieds. Tu ne mérites rien de mieux que ce qui t’arrive alors tu subis. Alors tu encaisses.

Mais cela est sans compter la déception et la colère qui font rage dans le cœur de cette femme que tu ne reconnais plus. Lorsque, finalement, elle s’éloigne de toi ce n’est pas pour t’offrir le répit. Ce n’est pas en guise de clémence. Lorsque tu oses, enfin, déployer ses bras qui tentaient de préserver ton visage de son agression ; tu le vois. Ce sourire narquois qu’elle porte aux coins des lèvres. Cette folie enivrante qui luit dans ses yeux tandis qu’elle te regarde de haut. Toi, la fille de la catin de Satan ! Toi, le monstre qui a gangréné de l’intérieur la bonté même de celle qui fut véritablement ta mère ! Toi, l’abomination que Dieu a renié depuis bien longtemps !

Et lorsque ces mots tombent. Tu ne vois plus. Tu n’entends plus. Tout devient noir. Puis rouge. Plus de rouge. Encore du rouge.
Encore aujourd’hui tu ignores ce qui s’est passé. Comment tous (…) les murs de ta chambre se sont retrouvés de cette couleur. Comment ton corps entier en a été recouvert. Comment dans ta bouche tu as pu sentir comme le dernier battement d’un cœur qui n’était plus depuis longtemps.
Tu as tenté de tout laver. Prenant bain après bain. Allant jusqu’à faire bouillir l’eau avant de plonger tes mains vermeilles dedans. Rien n’y faisait, cette couleur désormais acquise ne voulait plus te lâcher.

Alors tu as fuis. Cette salle de bain inondée. Cette chambre aux souvenirs ancrés. Cette maison qui avait si longtemps abrité l’enfant de Lucifer. Et tu as couru. Sans jamais te retourner. Et tu as erré. Dans les ruelles les plus sombres. Te fondant et te morfondant dans les ombres d’une ville inconnue. Tu as été abordée à de nombreuses reprises. Mais tu as refusé de parler. Ou même seulement de regarder. Tu es un monstre ! Tu es une erreur ! Tu es Judas !

Alors tu t’es cachée. Tu as rampé. Tu as prié. Et puis, une nuit, elle est apparue. Dans la faible lueur d’un réverbère parisien. Brillant de mille feux comme si sa robe était en flammes. Et tu as immédiatement été attirée par elle telle une phalène à l’aube de sa combustion spontanée.

Elle t’a posée des questions dans une langue que tu ne comprends pas.
Tu n’as su y répondre. Tu n’as même pas essayé. Tu t’en moques bien, de toute façon tu n’as jamais été très douée pour parler.
Elle s’est détournée. Elle s’est éloignée. Tu l’as suivi. Elle n’a rien dit. C’est là que tu as eu confirmation de ce que tu savais déjà.
C’est elle que Dieu a envoyé pour te guider …